Frontenac_T1
il nây a eu aucun sang répandu. Je me suis imaginé, encouragé en cela par toi, un sachem prétendument fort écouté des siens, quâà mon retour, ta nation reconnaîtrait un Père qui venait à son secours et sâétait allé reposer en son premier pays.
Après un court silence, Louis poursuivit, emporté par sa véhémence :
â Mes prédécesseurs ont adopté les Outaouais et leurs alliés, mais câest moi-même qui vous ai nommés, vous autres Iroquois, «les enfants dâOnontio », unissant vos cabanes à la mienne. Jâai pleuré, de loin et impuissant, la désolation des Tsonontouans. Si vous avez été trahis pendant mon absence, vous ne lâavez jamais été en ma personne : ce sont les Anglais qui ont voulu séparer les enfants de leur Père et renverser la terre qui, depuis, a été ensanglantée de votre sang, de celui des Français et de vos autres frères.
Louis proférait ces paroles sur le ton de lâindignation. La longue introduction ramenait des faits quâOureouaré connaissait par cÅur et quâil écouta sans broncher, apparemment impassible, tout en supputant pourtant le reproche.
â Jâaurais cru pouvoir au moins me flatter de ta reconnaissance pour les bienfaits dont je tâai comblé, et jâétais en droit dâespérer que tu ouvres les yeux de tes compatriotes. Il faut que tu sois bien insensible à mes bontés pour avoir manqué à ce devoir, ou que ta nation fasse bien peu de cas de toi pour que tu aies échoué à la faire entrer dans des sentiments plus réfléchis et plus conformes à mes intérêts!
Oureouaré fut abasourdi par lâinjustice de la critique. Il accusa cependant le coup avec calme, même si son cÅur était touché. Il nâavait jamais été dans sa nature de sâenflammer comme un brandon au moindre souffle de vent. Un chef devait contrôler son impétuosité et parler le langage de la raison, non celui de la colère. Aussi laissa-t-il écouler assez de temps pour se ressaisir et trouver les mots justes avant de répondre, dâune voix étale :
â Mon Père, je suis mortifié par la dureté de tes paroles. Je les crois injustes et imméritées. Rappelle-toi bien quâà ton retour de France, tu as trouvé les Cinq Nations engagées dans une alliance avec les Anglais quâil nâétait pas aisé de rompre et qui avait été envenimée par les Français Eux-mêmes. Il faudra du temps et des dispositions plus favorables pour relever lâarbre de paix. Je ne tâai jamais promis que jâarriverais par ma seule influence à changer le cours des choses. Je sais que je nâai aucun reproche à me faire. Jâai travaillé de toutes mes forces pour toi, ton peuple et le mien, et jamais je nâai cru à la magie des sorciers. Les choses viendront quand elles seront mûres et pas avant. Le fait que jâaie refusé de retourner dans mon canton bien quâon mây ait attendu avec impatience est garant de ma fidélité. Et si, malgré cette marque de mon attachement aux Français et à ta personne, on me fait lâinjustice de nourrir contre moi un pareil soupçon, je suis prêt à le dissiper. à défaut dây parvenir, je préfère rentrer dans mon pays.
Louis tressaillit. Ces paroles de bon sens et de dignité lâémurent et lui firent regretter dâêtre allé si loin. Les déboires des dernières semaines lâavaient rendu sombre et méfiant. Et le refus dâOureouaré de lever la hache de guerre contre les siens, lors de la fameuse assemblée alliée, lâavait déçu. Mais fallait-il tant sâen étonner? Câétait peut-être trop demander à un homme qui avait tant Åuvré pour la paix.
â Jâai laissé libre cours à ma colère, mon fils, mais mes paroles ont dépassé ma pensée. Je les retire. Efface-les à jamais de ta mémoire et oublie ta déception. Mon amitié tâest tout acquise et je connais maintenant assez le fond de ton cÅur pour ne plus douter de ta fidélité. Quant à la paix avec les naturels de ce pays, sache quâelle est mon vÅu le plus cher et que jamais je nây renoncerai, même sâil faut dâabord
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