Frontenac_T1
porter la guerre chez les tiens pour y parvenir. Maintenant va, va en paix.
Après le départ du sachem , Louis resta planté debout un long moment à réfléchir. Oureouaré sortait grandi de cette conversation et il se promit de veiller à se lâattacher encore plus étroitement. Lâamitié dâun tel homme était précieuse. Pour se faire pardonner, il fit ce quâil faisait toujours en pareil cas et donna des ordres pour quâon lui porte quelques présents : un pistolet pour attacher à lâarçon de sa selle et une belle cravate de taffetas noir où pendait une broderie dâor. Il croyait avoir remarqué que ces bagatelles lui faisaient envie.
Dehors, une pluie de grosses gouttelettes tombait dru à présent. Louis commençait à avoir la bougeotte et il lui tardait de rentrer à Québec. Ce qui nâétait plus quâune question de jours, si tout se passait bien. Une semaine ou deux, tout au plus...
14
Montréal, été 1690
Un faisceau de lumière vive força Louis à ouvrir les yeux. Son esprit voulut sâattarder au mirage dâun rêve, mais la fine glace du sommeil se rompit si brusquement quâil fut soudainement projeté de lâautre côté du miroir. Le réveil lui était un arrachement, une brutale reprise de conscience. Le plaisir de se retrouver le fuyait désormais. Câétait aussi cela, vieillir, cette usure, cette immense lassitude de ne découvrir au matin que sa pauvre enveloppe fanée et rien dâautre. Il sâétira, se tourna vers la fenêtre dominant la pièce et fut étonné de trouver un ciel dâun aussi beau bleu, lumineux à en faire pâlir dâenvie les plus grands peintres. Cela lui rappela les ciels de Nicolas Poussin, dont il avait maintes fois admiré les toiles à Versailles. Le beau temps avait enfin balayé les pluies et les vents cinglants des derniers jours.
Il se redressa et une douleur lui traversa les tempes. Il avait du mal à avaler et se trouvait fort enrhumé. Ces petites misères lui rappelèrent les événements de la veille. Comme il sâen voulait dâavoir dû quitter la table des Champigny au moment où ses avances auprès dâune veuve providentielle commençaient à porter fruits! Madame de Léry, une belle quadragénaire à côté de laquelle il sâétait trouvé assis â par lâheureuse intercession de madame de Champigny quâil saurait remercier en temps opportun â, ne sâétait rebutée ni de ses Åillades enflammées ni de ses improvisations galantes. Elle avait bien tressailli et rougi comme une jeune fille quand il avait fait mine de lâenlacer, ce qui avait plutôt attisé lâintérêt de Louis, tout en demeurant souriante et imperturbable. Les choses allaient bon train, quand une quinte de toux aussi inopinée que tenace lâavait obligé à se retirer. Ah, mais il la reverrait, il se le promettait bien! Il avait encore quelques jours devant lui, le temps dâattribuer aux soldats leurs quartiers dâhiver et de régler les détails de dernière minute. Il enverrait un de ses hommes aux nouvelles aujourdâhui même. Il fallait quâil sache tout sur cette madame de Léry. Et il sâarrangerait pour la faire inviter par Callières sous un prétexte ou un autre. Le plus vite serait dâailleurs le mieux.
Louis poussa une espèce de grognement de détermination, histoire de se fouetter le sang. Ce nâétait pas le temps de céder à la maladie, il avait trop à faire. Il se leva dâun bond et sa vision se brouilla. Nâimporte. Il sâaccrocha au montant du lit, le temps de reprendre son équilibre, et lança un ordre pour quâon lâaide à sâhabiller. La journée était chargée et il ne pouvait pas traîner.
* * *
Il terminait à peine son déjeuner que Monseignat pénétra dans la pièce en catastrophe, Callières sur les talons, et fondit sur Louis en brandissant deux lettres attachées en rouleau par un fin lacet. Il les lui tendit aussitôt.
â Monseigneur, elles viennent tout juste dâarriver. Un messager a ramé jour et nuit pour vous les apporter. Elles sont du major de Québec.
Louis lança un bref regard de connivence à Callières. Tous deux furent saisis
Weitere Kostenlose Bücher