Frontenac_T1
montaient sans frémir droit vers le ciel malgré les huit fenêtres largement ouvertes sur le fleuve. Le doux clapotis de lâeau battant la grève créait seul une impression de fraîcheur.
Il y avait là monseigneur de Saint-Vallier, le seul à ne pas être ivre, Frontenac, Champigny, Callières, François Damour, le chevalier de Maupon, le baron de La Hontan, Charles de Monseignat et quelques autres. On discourait à bâtons rompus de tout et de rien lorsque quelquâun aborda la question des mariages prochains du marquis de Vaudreuil et du sieur de Ramezay. Ces officiers avaient choisi leur promise parmi les jeunes femmes de la colonie, une initiative encouragée par les dignitaires du pays, et avaient trouvé plus commode de faire dâune pierre deux coups en convolant le même jour. Monseigneur de Saint-Vallier, qui sirotait une liqueur fine, saisit lâoccasion au vol et posa au jeune baron de La Hontan une question qui tomba comme un pavé dans la mare.
â Et vous, mon cher ami, pourquoi ne pas en profiter pour nous annoncer la date de vos épousailles?
La veille, Saint-Vallier avait fait part à Frontenac de son étonnement devant les hésitations du jeune officier. Il fréquentait Geneviève Damour depuis de longues semaines, sans sâêtre autrement compromis auprès des parents. Louis partageait lâinquiétude du prélat. Il avait dâailleurs tenté dâaborder le sujet quelque temps auparavant, mais La Hontan y avait coupé court.
â Il me semble en effet quâil voit depuis assez longtemps mademoiselle Damour pour demander enfin sa main. Ses hésitations sont injustifiées : un si beau parti, une jeune femme si intéressante! lui avait rétorqué Louis, choqué. Nous verrons à faire avancer les choses... Fiez-vous à moi, avait-il ajouté en donnant raison à lâévêque.
Lâoccasion suscitée à lâinstant par lâintervention inopportune de Saint-Vallier était trop belle, cependant, pour que Louis ne sâengouffre au pas de charge dans la porte qui venait de sâentrebâiller.
â En effet, fixez une date et je parie que lâon pourra vous arranger cela rapidement. Nous pourrions même établir les clauses du contrat ici même et sur-le-champ. Nâavons-nous pas avec nous le père de la mariée, lâévêque et le gouverneur? Que souhaiter de plus, heureux jeune homme!
La Hontan avait légèrement blêmi et serré les mâchoires, tout en tournant un regard interloqué vers Saint-Vallier et Frontenac. Il nâaimait pas que lâon sâimmisce dans ses affaires et cette intervention suintait la conspiration.
â Nous nâen sommes pas encore là , mademoiselle Damour et moi, répondit le jeune homme dâun ton quâil voulut détaché.
Autour de lui, on sâétait tu. La confrontation risquait dâêtre intéressante.
François Damour se repoussa sur son siège comme si on lâavait insulté. Sa fille était si éprise quâelle nâespérait que voir son fiancé se déclarer. La crainte de ne pas lui plaire assez ou de lâavoir déçu lâhabitait. Ne sachant plus à quel saint se vouer, elle sâen ouvrait régulièrement à son père qui la rassurait du mieux quâil pouvait.
â Par tous les dieux! Je mâengage à verser dans la corbeille de noces des mariés mille livres en espèces sonnantes et trébuchantes, si cela peut favoriser la chose.
Hector de Callières venait de lancer la mise en tirant de ses goussets une petite bourse quâil jeta sur la table où elle atterrit en tintant lourdement.
â Voici dâailleurs un acompte.
Le gouverneur de Montréal avait son visage empourpré de tous les jours, et la chaleur accablante lâavait forcé à déboutonner sa redingote.
Les enchères étaient ouvertes. Le futur époux se raidit lorsquâil comprit que le jeu consistait à lâacculer au mariage. Il se força à rester calme, bien quâune colère froide montât en lui.
â Eh bien, pour faire bonne mesure et parce que jâai une affection particulière pour ces deux enfants, je double la mise. Je mâengage à ajouter deux mille livres à la dot de la mariée à la signature du contrat de mariage.
Lâoffre
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