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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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d’un même funeste pressentiment. Louis prit les lettres puis, se ravisant, les tendit à son secrétaire. Il se cala dans sa chaise et attendit la suite avec fatalisme.
    â€” Que peut-il se passer encore d’assez urgent pour que le major Provost, qui n’écrit qu’une fois l’an et avec peine, m’expédie deux lettres coup sur coup?
    Monseignat rompit le fil reliant les missives, décacheta la première et l’ouvrit d’un geste impatient. Sa main tremblait légèrement. Quelques taches d’encre que Provost n’avait pas pris le temps d’éponger témoignaient de l’urgence de la situation. L’exprès était daté du 5 octobre.
    â€” Lisez, lisez!
    â€” Pardonnez mon intrusion, monseigneur, mais je crois que l’urgence de la situation le justifie. J’ai acquis la conviction que Québec est sur le point d’être attaquée par une importante flotte anglaise. Je viens tout juste de recevoir un messager abénaquis venu à marche forcée depuis Pescadouet, en Acadie, et envoyé par monsieur le baron de Saint-Castin. Ce dernier a fait surveiller les frontières des colonies anglaises, et ses hommes ont capturé une puritaine, près de Portsmouth, qui leur a révélé qu’une trentaine de vaisseaux ont quitté Boston, il y a quelque temps, pour venir attaquer Québec... Croyez bien que je demeure en attente de vos ordres et que j’aurai pris, entre-temps, toutes les dispositions qui s’avéreront utiles pour protéger la ville d’une attaque ennemie.
    â€” Passez à l’autre.
    Le jeune officier prit le second pli qui datait du 6 du même mois et le tendit devant lui. Cette fois, le ton était plus pressant. Le major lui marquait que le sieur de Canonville avait aperçu près de Tadoussac vingt-quatre bâtiments anglais, dont huit fort gros. Il ajoutait que sur cet avis, il avait détaché le sieur de Grandville, son beau-frère, avec un bateau de pêche à deux mâts et un canot bien armé pour les espionner et en savoir davantage. Il se disait en attente d’ordres précis sur la marche à suivre, tout en rappelant les dispositions déjà prises pour protéger Québec. L’inquiétude était patente.
    Louis réfléchissait. Il était loin d’être convaincu de la réalité d’une telle menace.
    â€” Mais bougre de Dieu! finit-il par réagir, je croyais les Anglais plutôt occupés du côté de l’Acadie, si je me fie aux dernières lettres de Saint-Castin. Port-Royal ne peut avoir capitulé si rapidement, à moins de s’être trouvée dans un état pire que ce que j’en savais ou d’avoir été attaquée par une force imposante. Mais j’ai peine à imaginer que de telles ressources aient pu provenir des Bostonnais, toujours si peu organisés. Callières, qu’en pensez-vous?
    Le gouverneur de Montréal répondit, avec une placide contenance :
    â€” Je pense qu’il est fort plausible, au contraire, que nos ennemis se trouvent à si peu de lieues de Québec et que l’Acadie soit tombée rapidement entre leurs mains. Rappelez-vous, monseigneur, le dernier rapport du gouverneur de Menneval. Il se plaignait que Port-Royal ne comptât que quatre-vingt-dix hommes de garnison, dix-huit pièces de canon pas même en batterie * , des fortifications en si mauvais état qu’elles ne pouvaient les garantir d’un coup de main ennemi. Et qu’ils manquaient de tout. Quant aux autres postes, ils étaient encore moins fortifiés et aussi mal pourvus. La plupart des habitations françaises sont encore plus écartées qu’ici et absolument sans défense.
    â€” Les distances sont si grandes et nous sommes si isolés dans ce terrible pays que les nouvelles nous arrivent toujours trop tard... Enfin, fit Louis, dans un geste d’agacement, je suppose que nous n’avons pas d’autre choix que de nous précipiter à bride abattue sur Québec, au cas où les Anglais auraient réussi le miracle de monter une flotte de guerre. Ce dont je doute fort...
    Callières songeait à l’attaque réussie des frères Kirke, soixante ans plus tôt, et à la chute de Québec. L’occupation anglaise avait duré trois ans et forcé les Canadiens à plier bagage et à rentrer en

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