Frontenac_T1
la mine dégoûtée. Ses cheveux hirsutes et ses vêtements en pagaille lui donnaient une allure de polichinelle. Prenant brusquement conscience du comique de la situation, Louis pouffa dâun rire incontrôlable qui monta, gonfla, se dilata et se répercuta bientôt en cascade autour de lui. Lâexplosion dâhilarité fut si communicative quâelle gagna rapidement Champigny puis lâéquipage immédiat, et enfin les hommes des embarcations voisines chez qui elle se propagea comme une traînée de poudre.
15
Québec, automne 1690
â Câest quâils nous attaquent par mer, ma parole, se dit-il.
Frontenac ajusta sa lunette dâapproche et y jeta un Åil anxieux. Des hauteurs où il se trouvait, il put appréhender à loisir lâorgueilleuse armada ennemie qui doublait lentement la pointe de Lévy et sâapprochait de Québec, en ordre de bataille et le vent en poupe. Il eut un bref serrement de cÅur.
Québec lâimprenable, lâinvincible citadelle, allait devoir défendre sa réputation bec et ongles. Une vision dâapocalypse lui traversa lâesprit : la ville se rendait dans un ahurissant cortège de vaincus transportant les blessés, sur fond de bétail abattu et de maisons rasées par les flammes. Il chassa aussitôt lâinquiétant mirage en serrant les mâchoires.
Il compta fébrilement trente-quatre voiles, dont quatre gros vaisseaux, quelques frégates et brigantins, le reste formé dâembarcations de plus faible tonnage. Câétait une flotte imposante que lâon disait montée de trois mille hommes de débarquement. Au fur et à mesure de leur progression, les petits bâtiments se rangeaient le long de la côte de Beaupré, entre lâîle dâOrléans et la rivière Saint-Charles, derrière les autres qui tenaient le large. Puis on jeta lâancre et une chaloupe débordant du vaisseau amiral fut mise à lâeau. Elle était surmontée dâun pavillon blanc et un émissaire y prenait place. Comme lâembarcation se dirigeait vers la basse-ville, Louis donna lâordre dâenvoyer un officier à sa rencontre.
Il laissa retomber sa longue-vue. Le sort en était jeté. Ils étaient aussi prêts quâils pouvaient lâêtre, vu les circonstances. Provost avait habilement manÅuvré pour protéger la ville : les fortifications, réalisées dans un temps record, commençaient au palais de lâintendant, sur le bord de la rivière Saint-Charles, remontaient vers la haute-ville en lâencerclant jusquâau Cap-aux-Diamants, pour sâarrêter au Sault-au-Matelot où était montée une batterie de trois pièces. La ville basse en comptait deux, pour sa part. Toutes les issues, ainsi que le chemin menant à la haute-ville, étaient barricadées de poutres et de barriques remplies de terre et de pierres, en guise de retranchements. Pour plus de sûreté, Louis avait fait ajouter une deuxième batterie au Sault-au-Matelot et une troisième à la porte de la rivière Saint-Charles. Une autre, de huit pièces de canon, était en installation près du fort Saint-Louis.
Quant aux hommes, il avait fait lâimpossible pour les rameuter. Le gouverneur des Trois-Rivières sâétait fait conduire en catastrophe à Montréal pour ordonner à Callières de se rendre dâurgence à Québec avec ses troupes et les miliciens de tous âges en état de porter une arme. Plusieurs habitants des environs des Trois-Rivières et de Québec étaient entrés dans la haute-ville pour gonfler les effectifs. Louis pouvait compter sur six à huit cents recrues, pour le moment, en attendant les renforts de Callières qui doubleraient leur nombre. Sans compter les sauvages domiciliés aux environs de Montréal et la poignée de Hurons et dâAbénaquis des missions environnant Québec, qui frétillaient, eux aussi, à lâidée de se mesurer à lâAnglais. Louis avait donné lâordre aux milices de Beaupré, de Beauport, de lâîle dâOrléans et de Lauzon, qui couvraient Québec autour de sa rade, de ne quitter leur poste que si les ennemis effectuaient un débarquement ou attaquaient le corps de la ville.
Que pouvait-il décemment faire de plus? Une inquiétude supplémentaire le
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