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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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à la navigation. Il se jura de faire rendre gorge au propriétaire, cette fois. Mais plus on écopait, plus le niveau d’eau montait. Force fut bientôt de se rendre à l’évidence : le bateau coulait.
    â€” Mais il faut évacuer. Allez, grouillez-vous! Faites signe aux autres embarcations de nous venir rescaper, fit Louis, en gesticulant comme un damné.
    Alertés par des signaux de détresse, quelques canots s’approchaient déjà, lorsque Louis tira Champigny par le bras.
    â€” Allez, allez, préparons-nous, messieurs. Ce n’est pas le temps de prendre un bain par cette température. Voilà, il y a un canot qui s’approche. Aidez-moi à y monter, monsieur l’intendant.
    Louis posa d’autorité son bras valide sur l’épaule de Champigny. Le baron de La Hontan, debout dans la fragile nacelle d’écorce qui s’était rangée en parallèle à la barque, se prit à leur expliquer la marche à suivre pour éviter de les faire chavirer.
    â€” Nous savons, nous savons, mon jeune ami. Ce n’est quand même pas la première fois que nous montons dans pareille embarcation, répliqua Louis, agacé.
    Il n’avait quand même pas sillonné ce pays d’un bout à l’autre pour se faire donner la leçon par ce jeune coq.
    Louis franchit la première étape sans peine, mais les choses se gâtèrent quand il voulut se glisser dans l’embarcation. Une oscillation du canot lui fit perdre l’équilibre, balancer le tronc d’avant en arrière dans une valse-hésitation du plus haut comique, puis basculer à la renverse dans l’eau glacée. Le malheur voulut que Champigny, auquel Louis s’était cramponné dans l’espoir de reprendre pied, soit entraîné à sa suite. Les deux hommes disparurent sous l’eau, s’agrippèrent désespérément l’un à l’autre parce qu’ils ne savaient pas nager, et reparurent au bout de quelques instants en battant frénétiquement des bras. On se précipita pour les repêcher.
    Frontenac fut hissé à bord le premier et se retrouva affalé entre deux bancs en claquant des dents, son bel uniforme de parade trempé et déformé, ses dentelles et ses rubans défrisés et pendants, son crâne à nu. Ses rares cheveux collés au front et aux tempes lui faisaient une auréole à la Socrate. Sa perruque, trop lourde, avait coulé à pic, cependant que son beau chapeau à plumes, récupéré à l’aide d’une rame, avait l’air d’un triste épouvantail. La Hontan l’enroula dans une couverture pendant que l’on rescapait Champigny. L’intendant fut à son tour hissé à bord, toussant et crachotant comme un phtisique. On le déposa, tel un paquet dégoulinant, à côté de Frontenac qu’il foudroya d’un regard assassin. Il contenait avec peine une rage explosive.
    Â«Comment ce Frontenac de malheur a-t-il pu être assez maladroit pour me plonger – c’est le seul mot qui lui vint à l’esprit – dans une situation aussi ridicule! » s’interrogeait-il, en frissonnant de tous ses membres. «Jamais je ne lui pardonnerai! »
    Puis on leur versa à tous deux une grosse rasade de rhum qu’ils furent tenus d’avaler cul sec.
    â€” Tout est perdu, fors l’honneur. La Marine de Sa Majesté est en déroute, son état-major est à demi noyé et sa flotte prend l’eau. Mais sachez bien, messieurs les Anglais, que nous vous ferons face, quitte à le faire à la nage, s’il le faut!
    La boutade décochée à tue-tête par le baron de La Hontan pour dérider l’atmosphère était un pari risqué. Sa répartie théâtrale, assortie d’une référence à la célèbre phrase de François I er lors de la fameuse bataille de Pavie, tomba dru. Ses coéquipiers durent se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire, de peur d’être cloués au pilori. Quant à l’impertinent baron, il risquait une solide dégelée.
    Frontenac leva un regard étonné sur le plaisantin et le considéra avec grand sérieux. Puis il posa les yeux sur Champigny, dont l’air courroucé s’intensifiait. L’intendant ne décolérait pas et le fixait d’un œil mauvais,

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