Frontenac_T1
France. Mais il est vrai quâil sâagissait dâune autre époque et que la situation actuelle était bien différente, se dit-il aussi, en se jurant de rendre la partie difficile à lâennemi si jamais la rumeur de leur présence sâavérait fondée.
Louis ordonna de mettre deux cent cinquante hommes à sa disposition, de leur trouver des canots et des vivres, et il envoya Monseignat avertir les officiers de se préparer sur lâheure à quitter Montréal. Les femmes resteraient à lâarrière, pour le moment. Quant à Callières, il fut entendu quâil demeurerait sur le qui-vive et prêt à foncer sur Québec avec le gros des hommes et des miliciens si la situation le requérait.
* * *
On avait fini par affréter une barque plate pour transporter à Québec le gouverneur général et lâintendant. Louis, qui avait exigé une embarcation conforme à son statut et plus confortable que le canot dâécorce, déchanta lorsquâil aperçut lâesquif. Il sâagissait dâun bâtiment modeste de faible tonnage et ne payant pas de mine. Il appartenait à un marchand de grains de Montréal.
â Câest tout ce quâon a pu trouver? fit-il, en jetant un Åil peu rassuré sur la barque dans laquelle on lâinvitait à monter. Une coque de noix quâon nous a cédée à prix dâor, je suppose?
Il sâadressait à Callières, qui ne put que soulever les bras dâimpuissance. Câétait déjà un miracle dâavoir pu trouver quelque chose à cette époque de lâannée, au moment où les bateaux de tous tonnages faisant la navette entre Montréal et Québec en étaient à leur fin de saison, déjà réquisitionnés et chargés à ras bord de fourrures et de peaux pour lâexportation.
On aida Louis à se hisser à bord. Il sâexécuta en bougonnant, mit tout de suite en doute la solidité du bateau, critiqua les planches du fond qui lui paraissaient pourries et fit grand cas du peu de commodité du bâtiment.
â Nous sommes toujours à la merci, nous autres fonctionnaires du roi, de ces maudits marchands tellement âpres au gain quâils font passer leur intérêt avant le service du roi!
Les hommes avaient le profil bas. Quand Frontenac était dâhumeur aussi exécrable, mieux valait se faire discret. Champigny, tassé sur son banc et encadré dâarchers de la Marine, agitait la main en direction de sa femme demeurée sur la rive. Elle paraissait inquiète. Leurs enfants étaient restés dans la capitale avec leur gouvernante et lâintendant brûlait de les rejoindre pour les mettre en sécurité. Lâidée de voir Québec assiégée par une importante flotte anglaise ne lui souriait guère. Lâintendant savait la ville défendue par à peine deux cent cinquante hommes, quand on donnait les Anglais pour dix fois plus nombreux. Quâils les précèdent de quelques heures et ce serait la catastrophe...
Il jeta un regard agacé sur Frontenac, qui sâen prenait maintenant aux rameurs en laissant libre cours à sa fureur dâatrabilaire. Champigny lâavait rarement vu aussi déchaîné : le visage cramoisi, la voix éraillée, il crachait son venin entre deux toussotements. «La situation est pourtant assez tragique sans quâil faille en rajouter », se dit lâintendant, en maudissant le gouverneur et ses caprices dâaristocrate frustré.
Le retour à Québec sâannonçait pénible et, comble de malheur, le ciel dâun bleu tantôt si triomphant virait au gris. Lâintendant se replongea dans ses réflexions pendant que les manÅuvres dâappareillage allaient bon train. Un long défilé de canots et de bateaux plats transportant le gros des troupes se forma bientôt et prit la direction du nord-est.
à la hauteur de Verchères, Louis recommença à sâagiter.
â Mais enfin, que vous avais-je dit? Ce rafiot prend lâeau. Voyez donc, monsieur le chef de barque. Là , et là .
Il pointait dâun doigt indigné les infiltrations dâeau qui montaient à fond de cale. Les hommes commencèrent à écoper en catastrophe. Ah, il avait eu raison de se méfier! Neuf fois sur dix, ces vieilles barques étaient impropres
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