Frontenac_T1
camp.
Le jeune officier, qui venait dâordonner un repli, surveillait attentivement les forces adverses. Des éclats de voix lui parvenaient, entrecoupés dâintempestifs « Long life to King William!  » Le gros des bataillons de Walley était devant, tambours battants et pavillons au vent, hors de portée des mousquets. Mais Sainte-Hélène craignait surtout les compagnies dâavant-garde, déployées en tirailleurs et avec lesquelles une rude bataille était engagée. Quelques-uns de ses hommes étaient déjà tombés, dont deux, touchés à mort.
â Là ! cria Sainte-Hélène qui crut percevoir un mouvement.
Devant lui, des éclats de lumière blanche jaillirent puis sâévanouirent au-dessus des broussailles. Il sâélança, suivi de quelques autres, en direction des tirs. Ses hommes répliquèrent, renvoyèrent quelques plombs, puis virent deux soldats anglais, surgis de nulle part, se cacher à leur tour derrière les arbres en se plaquant au sol.
â Ils apprennent nos tactiques un peu trop vite, ces paladins du protestantisme, ironisa Sainte-Hélène en enfournant poudre, bourre et projectile dans la gueule de son canon.
Il refoula le tout dans le tonnerre du fusil à grands coups de baguette, puis vérifia son arme. Sur la pièce de pouce, au-dessus de la poignée de crosse, brillaient ses initiales, gravées dans lâargent. Il y passa fièrement la main. Il était particulièrement attaché à son fusil de Tulle, dont il ne se départait jamais. Cette arme lâavait servi dans bien des combats et lui avait maintes fois sauvé la vie. « Je mourrai avec », pensa-t-il, en se lançant furieusement à lâattaque, tout en criant aux autres de le suivre.
Dans les fourrés, à plus dâune quinzaine de toises, un peloton dâAnglais venait dâapparaître. Sainte-Hélène courut rejoindre son frère et sâembusqua à ses côtés. Après un bref échange de tirs, un soldat ennemi culbuta hors dâun taillis. Il saignait abondamment. Deux solides gaillards lâempoignèrent aussitôt pour le mettre à lâabri, quand Sainte-Hélène sâinterposa. Il assomma le premier à coups de crosse et sâapprêtait à poignarder le second, quand un coup de feu tiré à moins de dix pas lui fracassa la jambe. Il tomba à la renverse, foudroyé. Longueuil bondit à son secours et fit feu sur une poignée dâautres qui sâapprochaient. Des escarmoucheurs français, alertés, surgirent en masse à la rescousse et se jetèrent avec fougue dans la bagarre. La furieuse mousquetade qui sâengagea entre les protagonistes vira rapidement en un violent corps à corps.
Quand la mêlée sanglante prit fin, les Anglais avaient déguerpi. Sainte-Hélène gémissait faiblement, étendu sur le dos, la jambe éclatée. Longueuil était affalé contre un arbre et saignait abondamment. En se tâtant les côtes, il perçut sous ses doigts la boursouflure dâune balle. Dieu merci! sa corne à poudre lâavait empêchée de toucher le cÅur. Mais il ne ressentait aucune douleur et se sentit rassuré. Déjà que son bras droit, fracturé lors de la bataille de Lachine, le faisait encore souffrir... Près de lui, un jeune fermier qui sâétait battu avec fureur, gisait, face contre terre, la tête traversée dâune balle.
â En tout cas, on a abattu au moins dix damnés puritains, jâen mettrais ma main au feu, murmura Sainte-Hélène dans un filet de voix.
Il fournissait un effort surhumain pour maîtriser la douleur qui commençait à se faire cuisante. Longueuil se ressaisit, arracha le bandeau quâil portait au front et sâen servit pour garrotter la jambe de son frère.
â Là , tu perdras moins de sang. Champagne et Lamarche reviennent, avec La Giroflée. On va pouvoir te transporter à lâHôtel-Dieu. Accroche-toi, Jacques! Nous nâavons pas fait les quatre cents coups pour venir mourir bêtement aux portes de Québec aux mains de bouviers, nom de Dieu!
Le blessé eut un pauvre sourire.
Devant le visage pâle et exsangue de Sainte-Hélène et la mare de sang qui grandissait sous sa jambe, Longueuil prit peur. Il grimaça discrètement en détournant la
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