Frontenac_T1
chapitrés sur lâimportance de repousser lâinvasion. Et surtout de protéger les Jésuites, dont on disait quâils étaient lâobsession des puritains. Sans parler de tous ces braves gens, serviteurs et métayers, garçons dâécurie et valets de chambre qui se sont joints à nos séminaristes. Jâen ai compté une quarantaine formant une compagnie à eux seuls et qui se sont lancés dans la mêlée avec enthousiasme. Nos prêtres ne sont pas demeurés en reste... car plusieurs, à lâexemple du curé de Francheville, ont échangé la soutane contre le capot, la barrette contre le tapabord * et le bréviaire contre le fusil, afin dâescarmoucher lâAnglais sur les grèves de la Canardière!
â Nos gens, tous nos gens, se battent avec frénésie. Je nâai pas vu de tire-au-flanc et je suis particulièrement édifié par leur courage et leur cohésion, monseigneur de Saint-Vallier. Votre récente lettre pastorale a dâailleurs contribué largement à assurer ce succès.
Les petits yeux vifs de lâévêque pétillèrent dâenthousiasme. Il rétorqua cependant, dâune voix faussement humble :
â Ce nâétait quâune courte missive propre à disposer les peuples de ce diocèse à faire face chrétiennement au double péril du siège et de lâhérésie.
â Notez que ce discours en a exalté plus dâun. Vous nây êtes pas allé avec le dos de la cuillère, Votre Ãminence, mais je dois admettre que lâeffet est réussi. Certains passages mâont paru fort beaux. «Marchez donc, mes très chers enfants, comme il est convenable que marchent ceux que Dieu a tirés par sa puissance des ténèbres pour les faire passer dans le royaume de son fils; marchez en plein jour dans les moments dâaffliction comme des hommes de lumière, marchez comme des enfants habités dâinnocence. » De vous à moi, monseigneur, nâauriez-vous pas un peu emprunté à Bossuet, ou même à Bourdaloue, me semble-t-il?
Saint-Vallier prit un air narquois.
â Il faut bien prendre son inspiration quelque part, vous en conviendrez avec moi. Bossuet et Bourdaloue guident souvent ma parole, il est vrai. Mais peut-il y avoir meilleurs discours que ceux qui vont droit au cÅur et font vibrer les cordes les plus sensibles?
â Certes, et je ne vous blâme pas. De si belles paroles ne peuvent quâédifier et porter nos gens au dépassement. Jâen déduis donc que vous tenez vos « unités » aussi bien que moi les miennes, ce qui est fort bien.
Ils se séparèrent en meilleurs termes que jamais. Persuadé que Frontenac commençait à être touché par la grâce, Saint-Vallier se promit de lâentreprendre sérieusement, une fois la tourmente passée. Qui sait, se dit-il, sâil nâallait trouver enfin son chemin de Damas?
17
Québec, automne 1690
La lunette dâapproche collée à lâÅil, les lèvres serrées, le lieutenant général John Walley dénombrait en amont de la rivière Saint-Charles un bataillon quâil évaluait sommairement à quelque mille hommes. Ils déambulaient en ordre de bataille, au son du fifre et des tambours. Le comte de Frontenac les commandait en personne, sanglé dans un uniforme chamarré dâor et bardé de décorations.
Walley fit une moue anxieuse et se mit à souffler dans ses mains pour les réchauffer. Il eut beau remonter encore une fois son col de petite laine, il grelottait toujours. Son capot de soldat nâétait pas adapté à ce froid de misère. La nuit précédente, la température était tombée si bas quâune glace de deux pouces dâépaisseur, capable de porter un homme, sâétait formée sur les battures. Ses soldats sâétaient couchés tête-bêche à même le sol gelé et avaient atrocement souffert.
Il ne décolérait pas. Bien quâil ne fût pas militaire de métier â non plus que ses soldats, qui étaient pour la plupart garçons de ferme, bouviers ou caboteurs â, il avait vite compris quâil serait suicidaire de tenter de traverser la rivière sans aide et sous les batteries de la ville. Il savait que Frontenac lâattendait. Il avait longtemps
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