Frontenac_T1
mort, le fusil dâune main et le tomahawk de lâautre. Oubliant toute discipline, ses soldats avaient retraité vers la plage à toutes jambes en hurlant à pleins poumons : « Indians! Indians! » Le désordre avait empiré quand, du haut de la cathédrale de Québec, avait retenti le tocsin. Le bruit avait couru dans leurs rangs que le comte de Frontenac sâapprêtait à lancer contre eux toutes ses forces.
Le reste sâétait déroulé à une vitesse affolante. Walley avait crié au major Ward de retenir ses troupes, mais cela avait été peine perdue. Aucun officier nâavait pu empêcher des hommes transis de peur de se précipiter en pagaille vers les embarcations qui avaient failli chavirer sous le poids des dizaines de soldats qui sây agrippaient.
â Les canons ont-ils été ramenés à bord, messieurs?
La voix désabusée du général Phips tira Walley de ses réflexions. Il sâextirpa de ses réminiscences et prêta mieux lâoreille.
Les officiers qui lâentouraient se pressaient dans une cabine exiguë, ballottée par des eaux démontées. Les derniers jours avaient été particulièrement pénibles et personne nâavait pu fermer lâÅil. La lumière enfumée dâun fanal de fortune soulignait des traits marqués par la fatigue.
â Je crois que oui, mon général, fit le major Savage.
Un peu plus tard, le colonel Dearing, qui se trouvait dans lâune des dernières barques, demanda quâon le conduise devant Phips.
â Mon général, jâai le regrettable devoir de vous apprendre quâil nous manque cinq canons. Il semble que nous les ayons malencontreusement oubliés sur les battures de la Canardière en vidant les lieux. Ils étaient sous lâeau et sont réapparus à marée basse.
Un silence de mort sâensuivit. Puis Phips éclata en violentes récriminations.
â Il ne nous manquait plus que cela! Abandonner nos pièces dâartillerie à lâennemi! Nos amis dâen face vont nous canarder avec nos propres armes et en mourir de rire, ne croyez-vous pas, messieurs? Je veux quâon les récupère sur-le-champ! Major Savage, voyez-y à lâinstant!
Lâamiral était mal rasé et avait les traits tirés. Il se croisa les bras et fixa ses hommes sans les voir. Il paraissait dépassé par les événements. Il reprit, dâune voix éteinte :
â Nous devons élaborer une nouvelle stratégie de débarquement. Lâentrée de la rivière Saint-Charles est impraticable et les terrains de la Canardière impropres; il faut prévoir autre chose.
â Lieutenant général Walley, quâen pensez-vous?
â Mon général, je me demande si la chose est réaliste, vu lâétat actuel de nos troupes.
Lâhomme posa un regard interrogateur sur ses confrères qui opinaient. Encouragé, il poursuivit :
â à moins dâaccorder quelques jours de repos aux hommes. Un grand nombre souffrent dâépuisement, dâengelures, de fièvres ou de maux de ventre. La petite vérole en a terrassé des dizaines. Ceux qui viennent de lâattraper sont hors dâétat de combattre. Sans parler des blessés graves. Quant aux morts...
â Et vous, major Appleton?
â Je me vois forcé dâabonder dans le sens de monsieur Walley, mon général. Beaucoup de mes hommes sont dans un état lamentable. Il leur faudra du repos avant de pouvoir combattre à nouveau.
â Monsieur Salthonstal?
â Je suis du même avis, mon général.
â Bien. Nous profiterons des deux prochains jours pour faire des sessions de prières, messieurs, car je pense que nous avons de sérieuses raisons de nous interroger sur la cause de tous les malheurs qui nâont cessé de sâabattre sur nos têtes depuis le début de cette détestable expédition.
Sir William semblait se recueillir. Il baissa les yeux, comme sâil entrait en lui-même.
â La Divine Providence nâest pas favorable à notre entreprise, commença-t-il dâune voix lasse. Trop dâéléments négatifs le confirment. à preuve, la persistance de ces vents contraires qui nous ont retardés de trois semaines tout en favorisant le retour des Français vers Québec;
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