Frontenac_T1
plein bombardement, voilà de quoi les faire douter de leur force de frappe et de la peur quâils croient nous inspirer.
Lâévêque affichait un air de contentement, tel le général qui se félicite de voir ses hommes enfoncer les lignes ennemies. Louis esquissa un sourire.
â Nos hospitalières ont multiplié lâespace disponible pour recevoir, soigner et nourrir les blessés. Elles vont même jusquâà distribuer aux officiers et aux soldats valides des écuelles de légumes bouillis. Elles leur cèdent aussi leur pain, que les hommes prennent dans le four avant même quâil ne soit cuit, les fruits et légumes de leur jardin et les cordes de bois quâelles avaient mises en réserve pour lâhiver. On leur a aussi pillé des planches et des madriers pour construire des fortifications, leur très beau verger dâarbres fruitiers a été rasé pour faire des batteries de canon et le terrain lui-même a été pelé jusquâau roc pour en récupérer la terre. Mais tout cela, elles le donnent de bon cÅur, en accord avec leur vÅu de pauvreté. Les vivres et les munitions se font rares, désormais, et la pénurie est générale...
â Songez que la situation doit être pire encore chez nos amis anglais, lui opposa Louis. Et quâen est-il des autres communautés?
â Nos bonnes ursulines se dévouent tout autant. Leur maison est remplie de séculiers de la basse-ville quâelles hébergent, faute de mieux, dans la salle des sauvagesses et le pensionnat. Les classes des externes débordent de meubles et de marchandises. Mais les pensionnaires continuent à suivre leurs cours dans les locaux de la communauté, le réfectoire, le noviciat et les trois caves qui abritent encore dâautres malheureux. Les religieuses prennent leurs repas debout et à la hâte, dans une cuisine encombrée, à peu près comme les Israélites lorsquâils mangeaient lâagneau pascal en souvenir de leur évasion dâÃgypte. Mais jamais leur piété nâa été prise en défaut! continua Saint-Vallier en levant lâindex vers le ciel. Jâai passé avec elles une nuit entière en prière devant le Très Saint Sacrement, la veille de la Sainte-Ursule. Les autres nuits, certaines ont pris leur repos dans la sacristie ou dans leur cellule, toutes vêtues et en prières continuelles. Câest leur immense tableau de la Sainte Famille quâelles ont fait suspendre en haut du clocher de la cathédrale. Vous noterez dâailleurs quâaucun boulet nâa pu lâeffleurer jusquâici, malgré tous les efforts quâont pu faire les Anglais pour lâabattre!
Lâévêque prit un air sibyllin, lourd de sous-entendus. Une remarque que Louis ne releva pas. Il préférait attribuer le « miracle », puisque le bruit courait que câen était un, à la trop courte portée des canons ennemis plutôt quâà la main de Dieu.
â Enfin... reprit Saint-Vallier, hier après-midi, le père de la Colombière leur a fait voir combien grand serait leur privilège si elles mouraient pour le maintien de la foi. Quand jâai entonné le Maria mater graciæ , croyez bien quâelles étaient toutes persuadées dâavoir à finir en martyres.
Louis eut un autre sursaut dâagacement. Le mysticisme et lâexaltation des religieux de ce pays ne cessaient de lâétonner. Quoique, cette fois, il y eût péril en la demeure. Les prisonniers anglais racontaient que lâennemi jurait de faire disparaître toute trace de papisme et de raser jusquâà leurs fondations les églises et les édifices religieux du pays.
â On mâa rapporté que nos séminaristes avaient abandonné leurs classes pour courir sus à lâAnglais?
Saint-Vallier parut enchanté dâavoir à rendre compte dâévénements qui faisaient sa fierté.
â Figurez-vous que des séminaristes de Québec, de Saint-Joachim et de Cap-Tourmente ont arraché à des autorités qui, il faut bien le dire, ne se sont pas fait tordre le poignet pour le leur accorder, le droit de courir à Beauport pour combattre les Anglais. Ces jeunes hommes vigoureux et habiles tireurs ont fait feu avec plus dâardeur que les autres, tant on les avait
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