Frontenac_T1
dressés tout le long des voies dâeau. La foire des fourrures a battu son plein pendant deux semaines et ce fut une véritable bénédiction pour la population. Les pelleteries étaient bloquées à Michillimakinac * et à la baie Verte * depuis si longtemps que les marchands, les petits commerçants, les voyageurs et tout un chacun commençaient à crier famine.
Louis se contenta de hocher la tête en signe dâapprobation. Rue Saint-Joseph, des militaires et des sauvages extrayaient des charrettes de lourdes poches quâils transportaient à lâintérieur dâun abri rudimentaire. Une fine bruine avait remplacé la pluie, mais le ciel nâen demeurait pas moins bas et obstrué.
â Ce sont les Iroquois chrétiens du Sault-Saint-Louis, lui fit remarquer Callières, que Denonville a donné lâordre de déménager à lâintérieur des murs de Montréal avec leurs biens et leurs provisions de maïs. Ils ont été si harcelés par leurs frères des Cinq Nations * quâils ont imploré la protection du gouverneur. Il est en train de leur faire construire un fort et en attendant, il les loge comme il le peut. Louis fit une grimace. Il désapprouvait lâopération.
â Pourquoi diable Denonville nâa-t-il pas plutôt envoyé sur place une garnison de cent cinquante à deux cents hommes pour les protéger au lieu dâentreprendre un tel branle-bas? Câest de la bêtise, dans la situation actuelle, de faire exécuter un tel travail par des soldats et des miliciens déjà surmenés par les continuelles escarmouches!
Le gouverneur de Montréal ne répliqua pas. Frontenac avait en partie raison, mais il ne pouvait désavouer le gouverneur sortant, quâil considérait comme un bon administrateur et un stratège militaire accompli. Callières respectait Denonville et regrettait son rappel précipité.
La visite de la ville sâéternisait. Tout en serrant encore quelques mains, et sous la rumeur des acclamations, le petit groupe finit par atteindre la place Royale. Sur une estrade, face au fleuve, sâélevaient trois longs poteaux noircis alignés côte à côte. Louis se tourna vers son acolyte, lâair interrogateur.
â Câest ici que trois Iroquois ont été brûlés vifs par les Indiens de la mission de la Montagne, il y a quelques jours. Trois frères dâun grand courage, à ce quâil paraît. Jâai appris la nouvelle avec étonnement. Il semblerait que leur capture ait été le résultat dâune bataille menée par deux de nos meilleurs officiers, les sieurs de Manthet et du Lhut, accompagnés de vingt-six hommes. Ceux-ci ont été interceptés sur le lac des Deux Montagnes par une brigade de Tsonontouans * . Les nôtres se sont placés dos au soleil couchant et ont attendu sans broncher. Les Iroquois ont tiré les premiers. Comme le soleil leur tapait dans les yeux, ils ont raté leur cible. Nos combattants ont alors vidé leurs armes et dix-neuf Iroquois ont été envoyés par le fond. Les trois sur vivants ont été ramenés et mis au poteau, à la joie de tous.
Louis était abasourdi. Jamais une telle chose nâaurait été possible sous son administration.
â Mais quel exemple de barbarie donnons-nous à la population? Les méthodes de mise à mort des sauvages ne sont guère civilisées et nous nâaurions jamais dû les cautionner!
â Ãcoutez, monseigneur, fit Callières dans un profond soupir. Ce sont les Indiens de la Montagne qui ont décidé de les «mettre à la chaudière », pour mâaccorder à leur expression. Mais la population aurait insisté pour que lâopération se déroule au vu et au su de tous. Après ce que les gens dâici ont vécu et vivent encore chaque jour par la faute des Iroquois, monsieur de Denonville aurait eu mauvaise grâce de leur refuser cette consolation. Cette victoire et la vengeance que nous en avons tirée ont relevé lâespoir de nos habitants, découragés par tant de défaites successives. Et cela aura pour mérite de faire réfléchir lâennemi. Que voulez-vous, les temps sont durs...
Louis ressentait une grande lassitude. Et il était transi de froid. Son costume dégoulinant lui collait au corps et son bras
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