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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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tenaient du râle, que vous aurez amplement le temps de méditer ce mémoire sur votre chemin de retour. Tenez, monsieur de Frontenac – il lui tendit le document avec raideur –, ayez soin de vous en inspirer, tout en conservant assez de marge de manœuvre pour faire face à l’imprévu. Et tenez-moi régulièrement au courant de l’avancement de cette affaire. Que la chance vous accompagne.
    Le pauvre homme salua ses vis-à-vis d’un mouvement sec et se retira, le dos voûté et le souffle court. On entendit longuement décroître dans le corridor sa respiration douloureuse et saccadée. Louis et Callières échangèrent un regard lourd de sous-entendus : ni l’un ni l’autre ne s’attendait à le revoir jamais... sinon dans l’autre monde.

2
Montréal, automne 1689
    Une pluie drue et froide battait encore ce jour-là, comme la veille et l’avant-veille, avec une intensité et une régularité désespérantes. Tout ce tragique automne, elle avait sévi sans discontinuer, jour après jour, achevant de démoraliser une population déjà profondément éprouvée. Montréal baignait dans un frimas humide et poisseux, et de ses rues transformées en bourbiers où s’enlisaient hommes et bêtes montaient de tenaces odeurs de marécage. Mais depuis l’aube et en dépit du mauvais temps, des habitants surgis de partout s’étaient résolument attroupés aux carrefours en s’abritant tant bien que mal sous un porche ou la bâche d’un étal. Le nouveau gouverneur avait donné à entendre qu’il prendrait un bain de foule dès le point du jour. La nouvelle avait couru les rues comme une traînée de poudre.
    Un lointain coup de tonnerre déchira le ciel en amenant des torrents de pluie et fut suivi d’un long et retentissant roulement de tambour. On vit alors s’avancer au débouché d’une rue un imposant détachement de militaires, fusils en bandoulière et épées au fourreau. La populace les accueillit avec un déluge de vivats. Se moquant de la pluie qui giclait sur leur redingote et mouillait les plumes des chapeaux, les soldats paradaient fièrement.
    Louis de Buade et Hector de Callières ouvraient la marche. Le premier était de petite taille et trottait d’un pas nerveux, ce qui offrait un contraste saisissant avec le second, un homme grand, dont la démarche plus hésitante était entravée par une forte corpulence. Les tambours et les fifres rythmaient les cris de la foule qui s’ébrouait.
    Puis ce fut la bousculade. Les habitants se précipitèrent en désordre au-devant des arrivants. La confusion fut telle que les soldats durent refouler vigoureusement les gens pour protéger les officiers.
    â€” Allez, faites place, reculez, reculez...
    Plus ému qu’il ne l’aurait cru par la chaleur de l’accueil, Louis s’occupait à caresser des têtes et à distribuer des paroles d’encouragement. Il avait délibérément choisi de parcourir Montréal à pied. Il n’entendait souffrir aucun intermédiaire entre la population et lui et, pour que l’exercice fût efficace, il avait entrepris d’arpenter méthodiquement chaque artère étroite et encombrée de la petite agglomération. Il voulait prendre le pouls des mécontents et donner la parole à tous, du plus important jusqu’au plus humble. Car il fallait que les Canadiens sachent, avec tambour et trompette, qu’il avait enfin repris place à la tête du pays et que les événements changeraient désormais de cours.
    â€” Vive le gouverneur! Vive le haut et puissant seigneur de Frontenac!
    La foule scandait ses acclamations à tue-tête et les gens couraient dans la boue en se bousculant pour suivre le cortège. Comme Louis se repaissait de ces marques d’authentique ferveur! Cela mettait un tel baume sur ses vieilles blessures d’orgueil qu’il en oublia du coup sa fatigue et ses douleurs rhumatismales.
    Â«Vive notre sauveur! » martelait-on autour de lui. Louis sentit son pouls s’accélérer. Il ne fallait pas être fin clerc pour décoder le sens de cet émouvant appel au secours de la part de gens qui vivaient depuis des semaines dans la terreur constante d’être pris par les Iroquois, abattus sur-le-champ

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