Frontenac_T1
droit était à nouveau douloureux. Il décida de mettre un terme à son opération de séduction et se tourna vers un officier de sa garde :
â Faites-nous venir une voiture. Nous rentrons au château de monsieur de Callières.
* * *
Lachine dévastée offrait un spectacle de pure désolation. Des cinquante-quatre maisons qui composaient la petite bourgade, près dâune quarantaine avaient été rasées par les flammes. Lâéglise saccagée, les bâtiments éventrés, les carcasses dâhabitations ouvertes à la pluie et aux vents, les champs calcinés sur trois lieues jusquâaux portes de Montréal, tout témoignait du drame récent.
Louis parcourait à cheval les lieux du sinistre et ne décolérait pas. Il devait faire face à tellement dâembûches et de difficultés depuis le matin quâil doutait de pouvoir mener ses affaires avec la célérité voulue. Et cette maudite pluie, moitié eau moitié neige, qui tombait encore à plein ciel. Il lui semblait que depuis quâil avait remis les pieds en Nouvelle-France, deux semaines plus tôt, le mauvais temps nâavait cessé de sévir avec une constance et une violence étonnantes.
Quand Frontenac franchit la porte de Fort Rolland, une petite construction militaire adossée au fleuve et située à lâextrémité ouest de lâîle de Montréal, à trois lieues de la ville, il fut surpris de la trouver si bondée. Le fortin, conçu pour abriter une garnison dâune cinquantaine dâhommes, servait de refuge aux survivants de Lachine. Un brouhaha indicible y régnait. Des soldats, des civils et des Indiens sây bousculaient, vaquant à leurs affaires dans le tumulte des cris dâenfants, des grognements de chiens et de porcs laissés en liberté dans un périmètre restreint. Lâarrivée du nouveau gouverneur, suivi de quelques cavaliers et dâun contingent de mousquetaires * , produisit un effet de surprise. On lâentoura dès quâil mit pied à terre. Le commandant se précipita à sa rencontre, pour sâentendre aussitôt ordonner dâune voix déterminée :
â Monsieur, jâai besoin de tout milicien et civil capable de tenir un outil! Nous avons cent canots de maître à construire que nous devons remplir de vivres, dâéquipements et de munitions en quantité suffisante pour ravitailler Fort Cataracoui.
â Je ferai de mon mieux pour répondre à vos attentes, monsieur le gouverneur, fit le jeune officier, bien que nous nâayons que peu de bras disponibles. Les Iroquois nous ont tué ou enlevé beaucoup dâhommes valides et nous hébergeons ici les quelques familles qui ont réussi à échapper au carnage.
Les enfants, fascinés par les chevaux qui sâébrouaient en piétinant sur place, ne les lâchaient pas des yeux. Des femmes au regard triste et résigné donnaient le sein aux plus petits, pendant que dâautres sâoccupaient des grands. Les quelques hommes échoués là avaient la mine basse. Louis aurait voulu secouer ces malheureux, effacer de leur mémoire les douloureux souvenirs qui devaient tant les hanter. Il ne put que leur répéter ce quâil martelait à satiété depuis la veille, au point dâen avoir la voix rauque :
â Nous viserons et frapperons désormais lâennemi droit au cÅur! Je vous promets la paix et la prospérité. Suivez mes ordres et faites-moi confiance. Un de Buade ne se rend jamais!
Il réussissait, une fois encore, le petit miracle dâallumer au fond de ces cÅurs meurtris une étincelle dâespérance. Ãbranlé par ce pouvoir nouveau quâil exerçait sur les consciences, Louis sâempressa de remonter en selle. Il se reconnaissait si peu dans ce rôle de sauveur. Car enfin, qui était-il pour oser promettre la paix et la prospérité à une colonie qui sâen allait à vau-lâeau, lui dont les intérêts personnels avaient si souvent primé sur ceux des quelques milliers dâhabitants qui peuplaient cette colonie? Mais la situation précaire du Canada, auquel il se découvrait tout à coup plus attaché quâil ne lâaurait cru, révélait plus clairement les enjeux. Lâapproche de la mort transformait Peut-être aussi
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