Frontenac_T1
ou mis à mort sous la torture.
Câétait dâailleurs avec un mélange de surprise et de colère que Frontenac avait appris, à lâîle Percée et de la bouche des récollets venus au-devant de son bateau, la catastrophe qui venait de sâabattre sur la Nouvelle-France. Le 5 août précédent, mille cinq cents guerriers sâétaient jetés dès lâaube sur Lachine endormie, avaient tiré de leur lit et attaqué à coups de casse-tête et de haches des habitants hébétés, qui avaient été massacrés sans pitié. Les hommes avaient été charcutés, cependant quâon éventrait les femmes et quâon embrochait les enfants. Quelques survivants avaient été amenés prisonniers. En se repliant sur la rive nord du lac Saint-François, les Iroquois avaient dâailleurs brûlé vifs ceux qui étaient incapables de marcher jusquâaux campements ennemis. Leurs cris dâépouvante et leurs gémissements inhumains, portés et amplifiés par le vent, sâétaient fait entendre jusquâau lever du jour. Depuis lors, les attaques-surprises se succédaient à un rythme affolant et faisaient chaque jour de nouvelles victimes.
â Dâaprès ce que jâai pu savoir, le découragement sâest emparé de la population et certains parlent déjà de plier bagage et de rentrer en France, lui avait glissé Callières à lâoreille, la veille au soir.
Louis serrait des mains, jetait une parole dâencouragement par ci et répétait, comme un leitmotiv, de vigoureux «Nous vengerons nos morts » ou «Nos ennemis vont voir de quel bois se chauffe un de Buade » par là , tout en marchant dâun pas énergique. Il ressentait malgré lui une affection paternelle pour ce petit peuple combatif et fier qui, hier encore, jouissait dâune situation stable. Nâavait-il pas laissé la colonie en paix quand il lâavait quittée bien à regret, sept années plus tôt? à lâépoque, ce pays si prospère était encore à lâabri des incursions iroquoises et vivait tranquillement de fourrures, dâagriculture et de pêche. Les Cinq Nations étaient tenues en respect par lâhabile politique dâapaisement et de négociation quâil avait assidûment menée pendant dix ans. Alors quâaujourdâhui... Rien que dây penser, il sentait la rage et le dépit lâenvahir.
Mais quâavaient fait ses successeurs pour précipiter le pays dans de pareilles affres? sâinterrogeait-il en vain. Denonville aurait certes des comptes à rendre. Louis le tenait responsable du malheur actuel et entendait bien le lui dire avant son départ imminent pour la métropole.
«Aurais-je pu empêcher cela si jâétais arrivé plus tôt? » se demandait encore le vieux comte, tout en sâapprochant dâun groupe de femmes qui se mirent à parler toutes en même temps des malheurs des uns et des autres, dans une cacophonie assourdissante. Lâune dâelles lâavait même saisi par lâuniforme et le retenait captif.
Louis se dégagea et pressa le pas, mal à lâaise devant ce débordement dâémotions contre lequel il ne pouvait rien, du moins dans lâinstant, dût-il être le Messie en personne. Mais il fallait agir et il agirait. La petite enquête quâil avait dâailleurs fait mener la veille auprès dâofficiers proches de Denonville et de Vaudreuil avait porté fruits. Il détenait assez dâinformations pour comprendre la défiance de la population à lâégard du gouverneur sortant et du commandant des troupes. Lâabsence de riposte des soldats et des miliciens devant la barbarie de lâattaque iroquoise lâexpliquait largement, croyait-il. Certaines personnes accusaient en effet les autorités militaires dâavoir péché par incompétence ou par lâcheté, ce fameux 5 août.
On racontait que Pierre Rigaud de Vaudreuil, qui avait remplacé Callières comme gouverneur de Montréal pendant son voyage en France, aurait commis de graves erreurs les jours précédant le massacre. Il aurait relâché la vigilance au point de permettre aux habitants de dormir dans leur maison et de se rendre à leurs champs sans escorte, contrairement aux règles de
Weitere Kostenlose Bücher