Frontenac_T1
sa perception de la réalité...
« Que mâimporte lâenchaînure de tout cela, se dit-il encore en éperonnant vigoureusement sa monture. Lâessentiel, câest de ne céder un pouce ni aux Iroquois ni aux Anglais, tout en trouvant le moyen de faire mieux que mes prédécesseurs. Et je détiens pour cela des cartes maîtresses! »
Dâun geste, Louis entraîna ses troupes près de la grève et leur fit monter un campement sommaire. Il sâoccupa ensuite de mettre en branle son projet de sauvetage de Fort Cataracoui en distribuant les responsabilités, les équipements et les tâches. Tous les canots dâécorce devaient être construits et bourrés de marchandises en soixante-douze heures. Le transport allait sâavérer difficile cependant, à cause des chemins quasi impraticables et du peu de charrettes disponibles. Mais il réquisitionnerait, que pouvait-il faire dâautre? Déjà quâil avait dû se battre avec le gouverneur sortant et lâintendant Champigny pour obtenir les trois cents hommes dont il avait besoin.
â Mais câest de la folie! sâétait emporté Denonville, lorsque Frontenac lâavait rejoint dans un fort quâil travaillait à réparer. Vous ne pouvez pas mettre en danger la vie de tant dâhabitants, dans une saison si avancée et avec les Iroquois qui contrôlent les rivières! Nous avons besoin ici de tous les hommes disponibles pour protéger la population!
â Envoyer un pareil détachement jusquâà Cataracoui va nous coûter un prix fou. Et en pure perte! Nous nâavons plus les moyens de maintenir une garnison si éloignée et impossible à ravitailler, avait renchéri lâintendant Champigny.
Frontenac nâavait rien voulu entendre. Sans tenir compte de leur résistance, il avait ordonné la levée du corps expéditionnaire. Mais les volontaires étaient rares et rechignaient à partir.
â Je vois à quel point on manque de discipline. Comptez sur moi pour y mettre bon ordre, avait-il lancé à un Denonville irrité, qui sâétait contenté dâélever les bras en lâair en signe dâimpuissance.
« Qui peut blâmer les hommes? pensait ce dernier. Ils ont travaillé jour et nuit pour ériger les forts et les palissades autour de Montréal. Et ils sâacharnent depuis des semaines à terminer la construction du fort devant abriter les Indiens du Sault-Saint-Louis. Quand les Iroquois nâattaquent pas du côté de Châteauguay, ils surgissent en force à Chambly, Sorel, quand ce nâest dans les parages de Bécancour. Avec des troupes sans cesse renouvelées, alors que nous manquons de soldats de métier, de miliciens expérimentés, de munitions, et que tout le monde est épuisé. Et voilà que Frontenac leur demande de quitter Montréal pour se lancer, au péril de leur vie, sur des rivières parsemées dâIroquois! »
Denonville se prit à espérer que ses ordres aient été exécutés à la lettre et que Fort Cataracoui ne soit déjà plus quâune ruine fumante.
* * *
Après trois jours dâune activité fébrile menée par des hommes épuisés de devoir faire toujours plus vite, lâessentiel des tâches était terminé. Les canots, lourdement chargés de marchandises et de munitions, sâalignaient depuis le matin en amont des rapides de Lachine, dans lâattente du signal de départ. Plusieurs Indiens christianisés * sâétaient portés volontaires et se mêlaient aux Français.
Mais Frontenac sâoccupait à régler une autre affaire de dernière minute.
Retiré dans une tente de fortune et entouré dâun groupe de sauvages empanachés, tous iroquois, il assistait patiemment aux palabres engagées depuis lâaube. Sa stratégie consistait à profiter de lâenvoi de sa brigade de canots à Fort Cataracoui pour dépêcher une délégation à Onontagué, siège de la Confédération iroquoise. Il ferait ainsi dâune pierre deux coups : prévenir la destruction du fort Cataracoui et entamer des démarches de paix avec les Iroquois.
Comme il y avait peu dâémissaires crédibles pour porter le message aux Cinq Cantons, le gouverneur dut se rabattre sur un Iroquois du
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