Frontenac_T1
louangeuses de la part de quelquâun qui sâétait toujours montré froid et circonspect à son égard avait de quoi faire sourire, dâautant que Saint-Vallier y avait mis une ardeur peu commune. Louis était certes flatté, ému même, mais néanmoins assez lucide pour attribuer cette victoire sur les Anglais autant à la chance quâà la bonne conduite et au courage exceptionnel des Canadiens. La Providence de Dieu nâavait rien eu à voir dans tout cela ou si peu. Mais quelle chance inouïe! Il aurait suffi que les Bostonnais débarquent trois jours plus tôt ou quâils persévèrent deux semaines de plus, et câen était fait de Québec... La résistance des Canadiens se serait effondrée dâelle-même, faute de munitions et de nourriture. Rien nâaurait pu empêcher la capitale, et tout le Canada avec elle, de tomber aux mains des puritains. Il nâignorait pas non plus quâen quittant précipitamment les rives du Saint-Laurent, les Anglais sâétaient juré dây revenir.
â Nous vous rendrons une autre visite lâannée prochaine, avait clamé lâofficier anglais chargé de négocier lâéchange de prisonniers.
â Nous aurons certainement lâhonneur de vous rencontrer avant cela, avait répliqué avec hauteur La Vallières.
Maintenant quâils avaient trouvé le chemin du Canada, pourquoi ces infidèles se seraient-ils privés dây faire irruption à nouveau?
Louis préféra pourtant chasser ces pensées sombres et se replonger dans la joie simple de ce beau jour de gloire. De tels moments étaient si rares. Lorsquâil releva les paupières, ce fut pour porter le regard sur les deux pavillons arrachés à Phips et suspendus bien en évidence devant le maître-autel. Les beaux étendards aux armoiries de Saint-Georges chatoyaient à la lueur des cierges. On les avait placés là à dessein, afin que la population nâoublie ni sa victoire ni le péril qui continuait de peser sur sa destinée. Cette menace constante dâêtre assiégés, conquis, assimilés, soumis et foulés aux pieds, Saint-Vallier et tout le clergé allaient la marteler sans répit afin de forcer cette populace de pécheurs à faire pénitence et à se soumettre à la volonté divine.
Quand lâévêque fut à nouveau devant lui, Louis prit le bras que lui tendait le primat, se leva et se plaça à ses côtés pour entreprendre une longue marche solennelle vers la sortie, portée par les chants et les accents triomphants de lâorgue. La procession qui se forma devant lâéglise fut accueillie par les tambours, les fifres et les coups de canon. Le long ruban humain se rendit dâabord chez les Hospitalières, puis chez les Ursulines, les Jésuites, et enfin, chez les Récollets en passant par la Grande Allée. à chaque arrêt était monté un reposoir où quelques pièces de litanies en lâhonneur de la Vierge et différents psaumes étaient entonnés par les religieuses et leurs élèves. Quand le cortège fut revenu à son point de départ, Louis donna le signal des réjouissances. Un feu dâartifice se déclencha bientôt, illuminant le ciel des multiples panaches colorés des feux de Bengale. Des lampions sâallumèrent un à un dans les croisées du château Saint-Louis ainsi que dans les fenêtres des maisons de la ville. Tous ces joyeux lumignons se mirent à danser doucement au gré des vents. Un redoux inespéré que dâaucuns attribuèrent à la Vierge Marie donnait à cette liesse populaire un faux air de printemps.
* * *
Comme le beau temps persistait, Louis donna lâordre, deux jours plus tard, de faire appareiller une petite frégate, La fleur de mai . Il fallait tirer rapidement profit de cette embellie imprévue qui avait libéré le fleuve. On fit tellement diligence quâen quelques heures à peine le lest, les voiles, les cordages, les mâtures, enfin le vaisseau tout entier fut en état de lever lâancre. Les trois navires échoués dans les glaces en firent autant et en profitèrent pour appareiller.
Louis choisit quelques hommes sûrs pour porter à Versailles la nouvelle de la défaite des Anglais. La Hontan implora lâhonneur de
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