Frontenac_T1
le maître de la mer, croirait-il mal employer quelques-unes de ses escadres de vaisseaux à punir lâinsolence de ces vieux parlementaires de Boston, de les foudroyer aussi bien que ceux de la Nouvelle-York dans leur tanière et de se rendre maître de ces deux villes, ce qui mettrait en sûreté toutes ces côtes et les pêches du Grand Banc, dont la conservation nâest ni de petite importance ni dâune médiocre utilité? Car si la Nouvelle-York était une fois entre nos mains, il faudrait nécessairement quâAlbany et tout le pays tombassent, comme il serait arrivé du Canada si les Anglais se fussent rendus maîtres de Québec, qui est toute la communication de ce pays, comme la Nouvelle-York lâest de lâautre.
Louis terminait sa missive par une requête personnelle :
Il ne me reste donc plus, monseigneur, quâà vous demander la continuation de votre protection et de vouloir bien songer à moi dans la distribution des grâces et des honneurs que le roi pourra faire, si vous jugez que jâen ai mérité par quelque chose qui ait pu lui plaire. Je ne laisse pas dâespérer que vous saurez bien employer en ma faveur la bonté que vous avez pour moi, quand vous en trouverez lâoccasion .
Cette fois, le roi aurait mauvaise conscience de lâignorer. Son éclatante victoire lui mériterait sûrement une pension ou quelque poste honorifique lui permettant de finir ses jours dans une relative tranquillité. Câétait son souhait le plus cher.
La frégate et les trois autres bâtiments quittèrent le port à midi pile, sous un soleil lumineux. De la fenêtre de son bureau, Louis suivit longtemps des yeux leur course lente et ne détacha le regard que lorsquâils eurent complètement disparu derrière la pointe de Lévy. Que dâespoirs ne mettait-il pas dans le succès de cette expédition! Comme sâil sâattendait à ce que, une fois publiées sa bonne tenue et la déconfiture de lâennemi, on finisse enfin par lui rendre justice.
Louis sâarracha enfin aux supputations glorieuses dans lesquelles il se laissait entraîner et se tourna vers son secrétaire.
â Monseignat, allons rencontrer la délégation abénaquise.
Ce dernier lâavait à peine annoncé que Frontenac pénétrait en trombe dans le grand salon du château où lâattendaient ses visiteurs et un jeune interprète. Six hommes étaient debout face au feu et fumaient tranquillement leur pipe. Un nuage de fumée les enveloppait et ils parlaient à voix basse. Ils posèrent des yeux amusés sur le gouverneur et parurent étonnés de sa précipitation.
Louis leur souhaita la bienvenue avec cordialité et sâassura que leurs désirs étaient comblés. Puis il sâadressa avec déférence à Madokawando, un homme long et mince au port olympien et à la tête grisonnante, et dont le visage était empreint dâune tranquille sérénité.
Ce grand chef dirigeait depuis des décennies les destinées des Abénaquis, ce peuple de lâaurore boréale vivant du côté du soleil levant et dont le territoire couvrait toute lâAcadie française. Câétait le beau-père du baron de SaintCastin, qui terrorisait les villages anglais du littoral acadien à la tête de ses guerriers abénaquis. Madokawando avait fait ce voyage pour rencontrer le grand capitaine des Français avant de mourir, annonça-t-il à Louis, et renouer lui-même leur alliance. Il y avait quinze ans que les Abénaquis avaient accepté de se mettre au service du roi de France et jamais ils nâavaient renié leur engagement.
Frontenac et Madokawando évoquèrent la situation désastreuse de Port-Royal dâAcadie depuis le saccage de la ville par Phips. Puis lâAbénaquis prit la parole, en pesant chaque mot, dâune voix traversée dâune colère contenue.
â Depuis quâune poignée de « pères pèlerins », ces puritains du Massachusetts, ont traversé la vaste mer et sont débarqués au cap Cod pour fonder une colonie, les choses ont commencé à sâenvenimer. Lâarrivée de ces Blancs qui nâont prospéré quâen nous arrachant nos terres et en nous exterminant, nous a acculés à une guerre que nous ne voulions pas.
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