Frontenac_T1
lâannoncer lui-même à la cour. Il invoquait la nécessité urgente où il se trouvait de retourner en France pour remettre enfin de lâordre dans ses affaires. Une permission que Louis lui avait retirée, lâannée précédente, parce quâil avait besoin de tous ses militaires pour faire face au péril iroquois. Surpris dâune telle requête de la part dâun homme amoureux et sur le point de prendre femme, Frontenac posa son bras sur lâépaule du jeune baron et lui demanda :
â Que vous arrive-t-il, mon cher? Vous avez lâair de quelquâun qui cherche à fuir. Auriez-vous fait quelque chose dâirréparable?
â Irréparable, jâespère que non, mais définitif, je crains bien que oui, murmura-t-il, en détournant le regard.
Louis lâobserva avec attention. Il craignait de se voir confirmer ce quâil appréhendait déjà .
â Mais encore? Auriez-vous... rompu... vos...
â Oui, monseigneur, sâempressa-t-il de répondre, tout en relevant sur lui des yeux décidés.
Le vert de ses prunelles virait au jaune sous lâeffet de lâintense lumière qui traversait les fenêtres du château.
â Vous voulez dire que vous avez repris votre parole et rompu avec mademoiselle Damour?
â Je ne dirais pas que jâai repris ma parole, puisque je ne lâai jamais donnée, mais jâai rompu, oui, des fréquentations qui ne pouvaient mener nulle part.
â Mais pourquoi donc, misérable! Cette jeune femme nâavait-elle pas tout ce quâil faut pour rendre nâimporte quel homme heureux?
â Dieu sait quâelle nâest pas en cause! Peut-être regretterai-je le reste de mes jours de ne lâavoir pas choisie, mais câest ainsi. Je... crains de nâêtre pas fait pour ce genre... dâengagement. Je ne pouvais me renier moi-même et me sentais de plus en plus ridicule et à lâétroit dans le rôle du soupirant indécis. Geneviève méritait mieux. Lâhonnêteté et le sens que jâai de la droiture me commandaient de prendre cette décision.
â Et elle, nom de Dieu! Comment a-t-elle pris la chose?
â Plutôt mal, je le crains. Câest en tout cas lâimpression que jâai eue. Elle mâa tourné le dos pour que je ne voie pas ses beaux yeux se remplir de larmes et elle mâa souhaité bonne chance.
â Et alors?
â Et alors quoi?
â Câest tout?
â Que voulez-vous quâil y ait dâautre! fit La Hontan, que cet interrogatoire commençait à irriter.
â Dans pareil contexte, je suppose que votre éloignement ne pourra que lui être salutaire, finit par marmonner Louis, profondément déçu.
Il se lissa la moustache en prenant un air contrit, tout en se demandant si le petit jeu de marchandage auquel il sâétait prêté sur le dos du baron, ce fameux soir de canicule chez Callières, nâavait pas précipité les choses.
â Eh bien soit... puisque câest ainsi, je vous accorde cette permission. Allez régler vos affaires et revenez-nous sans faute au printemps prochain. Le temps, je lâespère, aura fait son travail et adouci chez cette pauvre enfant un chagrin que je ne peux imaginer que profond. Allez, allez, partez, briseur de cÅur.
Frontenac confia à La Hontan le soin de remettre en mains propres une lettre au ministre, une autre à cachet volant au roi, une troisième à madame de Maintenon pour lâinformer de ses glorieux faits dâarmes, et une dizaine dâautres à son épouse et à différents personnages de la cour. Il fit recopier en trois exemplaires la lettre destinée au ministre et la répartit sur autant dâembarcations, pour augmenter ses chances dâatteindre Versailles. Il y décrivait de long en large lââpreté des combats, le courage des soldats et de la population, et la redoutable force de frappe des Anglais. Il insistait également sur les différentes gratifications, pensions et lettres de noblesse à dispenser aux uns et aux autres en reconnaissance de leurs mérites. Sans grand espoir dâêtre entendu, il reprenait le même vieux couplet sur la nécessité de sâattaquer à la source du mal :
Maintenant que le roi a triomphé de ses ennemis et par mer et par terre et quâil est
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