Frontenac_T1
devenait, dâune saison à lâautre, de moins en moins habitable. Louis se promit de le faire rénover entièrement lâété suivant ou de le raser de fond en comble et de le reconstruire. Mais pour éviter de grelotter en permanence, il avait enfilé par-dessus ses vêtements une longue cape de laine des Pyrénées lui descendant aux chevilles. Anne lui en avait fait cadeau et le chaud lainage mariait astucieusement confort et élégance. Louis sâen était tellement entiché quâil ne sâen départait plus. Câest ainsi accoutré quâil reçut ses visiteurs, ce jour-là .
Il sâagissait de prisonniers français relâchés par le général Phips avant de quitter Québec. Ils pouvaient détenir des informations utiles, surtout le père Trouvé, qui avait été témoin, à titre dâaumônier, de la prise de Port-Royal dâAcadie. Le prêtre se présenta au château en début dâaprès-midi et fut introduit auprès de Frontenac. Il se lança aussitôt dans des explications minutieuses et détaillées, émises à un rythme précipité et dâune voix nasillarde, perchée deux tons trop haut.
Trouvé fournit dâabord à Louis des informations inédites sur les origines modestes et peu respectables de lâamiral Phips, venu assiéger Québec. Simple berger issu dâune famille de vingt-six enfants, lâhomme sâétait fait charpentier maritime, puis aurait fait fortune en épousant une veuve aisée et en repêchant le trésor dâun galion espagnol, naufragé quelques années plus tôt. Une fois riche, il sâétait fait anoblir, titrer chevalier et nommer général.
â Quoi? Câest un corsaire promu chevalier, un gardien de moutons anobli qui est venu me sommer de me rendre! Ces Anglais ne respectent donc rien! avait proféré Frontenac dâune voix cinglante.
Puis le jésuite avait narré par le menu les conditions épouvantables faites par Phips au gouverneur de Port-Royal dâAcadie, le sieur de Menneval, après sa reddition. Le général anglais sâétait engagé à laisser sortir les soldats et à les conduire à Québec, à respecter les biens des habitants et du clergé et à leur laisser pratiquer leur religion. Mais Phips avait désarmé les militaires sous le premier prétexte venu, les avait fait enfermer et avait ordonné le pillage des habitations, des logements, de lâéglise et des prêtres.
â Tout a été détruit, câest une vraie misère, monseigneur! continua Trouvé. Nous avons tous été amenés prisonniers à Boston. Quant au malheureux sieur de Menneval, il sâest retrouvé à la merci dâun homme dont la rapacité défie lâimaginaire. Après avoir donné sa parole de gentilhomme, le général a refusé de lui restituer ses biens et a conservé cinq cents livres, son argenterie et sa vaisselle dâétain, ses pistolets et ses vêtements. Et jusquâà sa literie! Le pauvre Menneval a pétitionné le gouverneur Bradstreet qui a ordonné à Phips de tout remettre. Mais il nâa récupéré quâun peu dâargent et quelques vêtements en mauvais état. Le pirate a gardé le reste.
â Comment pourrait-il en être autrement? Un berger fait gentilhomme... Mais dites-moi plutôt où se trouve actuellement Menneval.
Frontenac commençait à sâagacer du verbiage de son invité et il avait la migraine.
â Au moment où lâon se parle, continua son interlocuteur, son bateau doit approcher des côtes de France. Car figurez-vous que le conseil lâa relâché, bien que Phips et une populace échauffée eussent insisté pour quâon le maintienne prisonnier. Dâhonnêtes gens ont heureusement pris sa défense.
â Bravo! Il sâagit là dâune bonne nouvelle. Et que savez-vous de la situation trouble qui régnerait chez nos voisins du Sud?
â Dâaprès ce que jâai pu apprendre, monseigneur, les Anglais ont préparé le terrain de leur défaite, répondit Trouvé. Quand les gens ont appris quâen Angleterre Jacques II le catholique avait été détrôné et remplacé par un roi protestant, ils ont capturé le gouverneur de la
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