Frontenac_T1
point dâaller ravager leurs champs et leurs villages, comme me le marquait le baron de Saint-Castin dans sa dernière lettre, me laisse espérer un répit pour la colonie. Ce que votre gendre mâa appris sur la guerre civile qui règne en Nouvelle-Angleterre me semble de bon augure. Voilà une situation que nous pourrons exploiter à notre avantage. Quant à Port-Royal dâAcadie, jây ai déjà fait nommer un Canadien né ici, le sieur Robineau de Villebon. Il prendra davantage à cÅur vos intérêts quâun Français, qui nây connaît rien. Jâappuierai toutes ses représentations concernant lâAcadie : on reconstruira Port-Royal et on le dotera dâune véritable garnison, le roi vous accordera sa protection, vous fournira des munitions et vous assistera de ses conseils pour faire face à lâennemi. En ce qui concerne vos besoins immédiats, je vous donnerai autant de balles et de poudre que vos embarcations pourront en porter, en attendant de pouvoir vous expédier un gros bateau, chargé de vivres et de fusils.
Louis fit tirer des magasins du roi tout ce qui pouvait être transporté dans lâimmédiat. Lâintendant rouspéta. Il arguait que la colonie nâavait été que partiellement ravitaillée et craignait dâépuiser ses réserves avant le retour du printemps. Il nâen fournit pas moins plusieurs fusils, des barils de poudre, des dizaines de poches de blé et des marchandises de première nécessité. Madokawando et ses hommes repartirent le cÅur léger et les canots lourdement chargés.
* * *
â Mais ma mère, pourquoi ces supputations malsaines? Ne suffit-il pas que mon cÅur soit brisé?
Geneviève Damour criait son indignation dâune voix trouée de larmes. Son noble visage dâinnocente madone sâétait durci et ses beaux yeux turquoise semblaient cracher le feu. Nâeût été le respect quâelle devait à sa mère, elle lui aurait attaché la langue tellement ses insinuations étaient outrageuses.
â Si tout le monde nâavait pas fait autant de pressions sur lui, à commencer par le gouverneur et lâévêque, sans parler de votre propre acharnement à le voir arrêter une date de mariage au point que je le sentais se raidir chaque fois que vous apparaissiez, nous nâen serions pas là aujourdâhui!
â Ingrate et méchante! Jâai fait ce que nâimporte quelle mère attentive et dévouée aurait fait à ma place. Il hésitait tellement quâil fallait bien le brusquer un peu. Prenez-vous-en plutôt à votre attitude trop permissive, alors que vous auriez dû lui faire payer cher lâobjet de son désir.
â Trop permissive, dites-vous? Parce que jâai voulu échapper aux échéances, dictées bien davantage par les obsessions des curés que par le bon sens? Il fallait du temps pour nous apprivoiser, mais on ne nous en a pas laissé! En le poussant si fort à sâengager, nâavez-vous pas sacrifié mon bonheur au quâen-dira-t-on? Nous nâétions même pas officiellement fiancés! Je ne me suis ni imposée ni jetée à son cou par respect pour moi-même. Quâeussiez-vous souhaité? Que je le hale de force au mariage comme on traîne un veau au sacrifice? Que je me roule à ses pieds en implorant sa pitié ou que je mâarrache les yeux en menaçant de me précipiter dans le premier puits venu? Non, ma mère, on ne contraint pas à lâamour. Jâai une assez haute idée de moi-même pour vouloir que lâon me choisisse de son plein gré. Monsieur de La Hontan a préféré reprendre une liberté dont je ne lâavais jamais dépouillé, et je nâai pu y opposer que des regrets et une peine infinie. Maintenant laissez-moi, vous mâavez assez torturée.
La voix de Geneviève se brisa sur ces dernières paroles et des larmes frangèrent à nouveau ses cils.
â Ah voilà , cela est de ma faute, à présent! Jâaurais sacrifié votre bonheur au quâen-dira-t-on? Mais que vous voilà injuste, ma fille! Vous aviez un fiancé qui dès le début était incapable dâengagement. Que ne le voyiez-vous pas? Et quand jâai tenté de vous prévenir contre lui, vous avez sèchement refusé de
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