Frontenac_T1
pourront se torcher le derrière avec!
Trouvé se félicita de son initiative.
â Mais dites-moi donc, fit Louis, changeant subitement de sujet et dâhumeur selon son accoutumée, puisque vous semblez si bien renseigné, auriez-vous par hasard entendu parler dâune poignée de Français quâon aurait emprisonnés dans les geôles de Boston, lâhiver dernier?
â Une poignée de Français? Lâhiver dernier? Non... je ne vois pas, fit dâabord Trouvé en fronçant nerveusement le front et les sourcils, tout en roulant des yeux embarrassés. Vous pensez à combien dâhommes, monseigneur?
â à cinq, tout au plus. Il sâagit de la délégation du chevalier dâO, que jâai envoyée chez les Iroquois pour négocier et dont je nâai plus eu de nouvelles.
â Le chevalier dâO? Attendez, attendez... Je sais quâun homme était incarcéré dans la section à haute sécurité et quâil sâagissait dâun officier que les gardes appelaient... « Daouw  », si ma mémoire est bonne. « Daouw  » peut très bien être dâO, si on tient compte de la propension quâont les Anglais à déformer notre langue. Plusieurs gardes se relayaient à sa porte pour lâempêcher de sâévader à nouveau. Il semblait être un prisonnier dâimportance, plus important que nous, assurément.
â Câest dâO! Il sâagit bien de notre homme, ce ne peut être que lui! Les Iroquois lâauront épargné et remis aux Anglais. Ils nâont pas osé le mettre à mort, en quoi je reconnais leur sens politique. Des voix plus modérées ont dû se faire entendre au sein des conseils. Quant aux autres... si on nâa plus entendu parler dâeux, câest quâils ne sont vraisemblablement plus en vie.
Louis baissa la tête, soudain penaud. Il sâattendait un peu à cela. Colin, La Beausière, Bouat, La Chauvignerie, tous sacrifiés et probablement torturés à mort. Il avait commis une grave erreur en les expédiant chez les Onontagués. Mais quây pouvait-il, maintenant? Il pensa à dâO, qui avait tenté de sâévader, et se dit quâil ferait lâimpossible pour lâéchanger contre rançon. Quant aux familles des autres malheureux, il essaierait de leur faire accorder une petite pension, histoire de réparer un peu.
19
Québec, printemps 1691
Marie-Madeleine de Champigny posa son petit ouvrage de tapisserie sur le guéridon dressé à proximité de son fauteuil et se leva.
Elle tendit lâoreille aux bruits de la salle à manger où sâaffairaient les domestiques. Les pas feutrés, le claquement répété des portes, lâentrechoquement des plats dâargent et des coupes de cristal quâon posait sur la table annonçaient lâimminence du repas. Elle lissa les bandeaux de sa coiffure et serra plus étroitement son châle autour de ses épaules. Il faisait froid, malgré ce soleil du dehors qui éclaboussait les arbres et irisait le fleuve. Elle détestait cette pièce humide comme un caveau leur servant de salon. Elle y passait quand même le plus clair de son temps, occupée à lire, tricoter, faire sa tapisserie ou échanger avec ses enfants les jours où ses occupations caritatives ne la sollicitaient pas à lâextérieur. Son mari avait acheté lâancienne brasserie de lâintendant Talon en arrivant au pays et lâavait fait aménager en palais de lâintendance. Ils occupaient les six pièces les plus confortables, le reste étant transformé en salle dâaudience pour le conseil, en officines et en prison.
Elle ne pouvait pas se plaindre. Elle était privilégiée et sa famille était largement à lâabri du besoin. Il y avait néanmoins tellement de misère autour dâelle quâelle essayait de se rendre utile, dans la mesure de ses faibles moyens. Aussi avait-elle appuyé de toutes ses forces son mari quand il avait fait établir par le conseil des bureaux des pauvres à Québec, Trois-Rivières et Montréal. Convaincue que sa place était à ses côtés dans cette lutte contre lâadversité, elle avait offert ses services avec enthousiasme pour implanter le premier bureau des pauvres de Québec. Il
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