Frontenac_T1
mâentendre. Un homme amoureux et déterminé nâa pas besoin de tant tergiverser. Votre père, lui, mâa demandée en mariage après un mois de fréquentations. Et ce que vous appelez de façon si méprisante des « échéances », ne sont que des nécessités dictées par la décence et les bonnes mÅurs. Par la faute de parents qui abdiquent leurs responsabilités, trop de jeunes filles, de nos jours, sont la proie de séducteurs de tout acabit. Je ne vous reconnais plus, ma fille, vous vous oubliez.
Geneviève fit mine de sâéloigner, mais madame Damour la retint par le bras.
â Geneviève, calmez-vous. Oubliez mes paroles injustes. Pardonnez-moi.
La mère, adoucie, prit entre ses mains le visage inondé de larmes de sa belle Geneviève et le baisa.
â Mon enfant chérie, comme vous souffrez...
Cette dernière laissa aller sa tête contre lâépaule de sa mère.
â Vous êtes tellement prompte à me jeter la pierre.
Le reproche fut prononcé dans un chuchotement. Madame Damour souffrait dans son cÅur de mère comme si câétait elle qui avait été abandonnée. Elle imaginait trop la douleur que ressentait sa Geneviève, si excessive en tout, pour ne pas y compatir pleinement. Sa fille avait pleuré toute la nuit et sâavérait inconsolable, malgré les attentions dont on lâentourait.
La jeune fille se libéra doucement de lâemprise maternelle et sâengagea dans lâescalier menant à sa chambre. Elle se sentait flouée. Elle ressassait les mêmes interrogations depuis la veille. Quâest-ce qui avait poussé La Hontan à provoquer cette rupture? Quâavait-elle fait ou dit pour précipiter ainsi sa perte? Aurait-elle pu se protéger dâun pareil dénouement? Cette dernière question la révulsa. Elle ne pouvait concevoir que lâon puisse à la fois connaître lâamour, ce grand bonheur, et devoir en même temps sâen garantir.
En repassant par le détail lâattitude de La Hontan lors des dernières semaines, elle réalisa que lâissue sâannonçait déjà . Un épilogue qui transpirait dans les regards distraits et fuyants du jeune baron, dans ses propos hésitants sur leur avenir commun, dans ses récits de voyage empreints de nostalgie. Elle avait vu son beau visage sâassombrir parfois, se fermer même, comme si quelque chose dâinavouable le tourmentait. Autant de signes avant-coureurs qui auraient dû lâalerter si elle avait été plus aguerrie, mais auxquels elle nâavait pas prêté attention. Et quand, dans un souffle douloureux, il lui avait avoué vouloir reprendre sa liberté sous prétexte de nâêtre pas fait pour le mariage, elle avait baissé les yeux sans mot dire, comme si elle savait déjà que cet amour-là serait à sens unique. Elle lâavait laissé partir en lui tournant le dos, pour cacher les larmes qui sourdaient déjà en elle. Lâhomme de sa vie â personne, jamais, ne le remplacerait! â avait pris congé dâelle et déserté la pièce dâun pas infiniment plus leste quâà lâarrivée. Il lâavait quittée, allégé du poids dâun amour quâelle acceptait désormais de porter seule et quâelle chérirait sa vie durant...
Le cÅur encore plein de lui et la tête chavirée à lâidée de sa perte, Geneviève se blottit sous ses couvertures et se mit à fredonner les paroles dâune chanson triste qui lui remontait soudain en mémoire.
â Si ne revient mon ami, jamais... ne me marierai et vivrai dans le veuvage, amant... amant volage... vous que jâaimais... tant, tant, tant... amant volage si ne revient...
à force de répéter machinalement ces paroles, elle finit par être gagnée par un sommeil agité, entrecoupé de rêves obsédants où elle tendait la main vers une autre main, fugace, qui sâévanouissait chaque fois quâelle la saisissait enfin.
* * *
Il faisait un froid humide si pénétrant depuis quelque temps que Louis avait dû abandonner ses appartements à lâétage et déménager au rez-de-chaussée, plus facile à chauffer. Un désagrément imputable à lâétat de délabrement avancé du vieux château qui
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