Frontenac_T1
à feu et à sang. La famille et les domestiques de Waldron furent tués et le major torturé et cruellement exécuté. Je vous épargne les détails...
â Vous faites bien, monsieur Trouvé. Ce genre de raffinements me bloque la digestion.
Ce disant, Louis prit un quatrième beignet quâil attaqua avec délectation. Décidément, pensa-t-il, sa cuisinière sâétait encore surpassée. Lorsquâil eut tout avalé, il sâempressa de commenter :
â Notez que ce Waldron sâétait attiré ses malheurs. Même si les méthodes sont critiquables, on ne peut que se réjouir que justice ait été faite.
Trouvé opinait. Puis il sâagita sur son siège en secouant lâindex vers le ciel.
â Oh! il y a quelque chose que je tiens à vous montrer à tout prix, monseigneur, avant que je nâoublie. Permettez.
Le jésuite plongea la main dans sa besace et en tira une affichette froissée, recouverte dâune écriture grossière à lâencre un peu délavée.
â Tenez, monseigneur, lisez plutôt. Câest à peine croyable!
Le prêtre tendit le papier à Louis qui y jeta un Åil rapide, pour le lui remettre aussitôt.
â Je nâentends pas lâanglais, cette langue de demi-civilisés. Faites-mâen la traduction, sâil vous plaît.
â Il sâagit dâune résolution votée récemment par la cour générale du Massachusetts. Câest un prisonnier qui se lâest procurée, je ne sais trop comment, et qui mâa demandé de vous la remettre. En fait, cette résolution accorde douze louis pour chaque ennemi tué ou ramené vivant, entendons un Français et un sauvage allié, bien sûr, et huit louis pour chaque prisonnier anglais arraché de nos mains. Il est amusant de constater que lâAnglais vaut moins que le Français ou lâIndien, ne trouvez-vous pas?
â Quâest-ce que vous me racontez là ! Ils ont osé voter un tel décret? Mais ce sont des barbares!
Louis avait arraché le feuillet des mains de Trouvé pour le brandir devant lui, dâun air courroucé. Il fronçait les sourcils en tentant de déchiffrer le gribouillis de mots inintelligibles qui sâalignaient devant ses yeux, puis il laissa éclater son indignation. Elle claqua comme lâorage en plein cÅur de juillet.
â Ce sinistre écriteau a dû être placardé à la devanture de tous les étals de Boston, et on a dû le lire aux portes des abattoirs et des boucheries! Cette mise à prix de notre sang a dû tirer lâÅil du client et élever les enchères. Manger du Français, quelle aubaine! Et le reste, que dit le dernier paragraphe de ce torchon?
Connaissant de mémoire le contenu, Trouvé sâempressa de préciser.
â Le reste est un privilège de haute morale, si je puis mâexprimer ainsi, monseigneur. Il assure à tout puritain de bonne volonté le droit dâuser et dâabuser à bon plaisir des femmes, enfants et butin pris sur lâennemi tué ou capturé : « ... they shall be allowed what benefit they can make of their women and children and plunder ». On ne peut être plus clair.
â Comment donc! Mais quâils viennent donc ici, sâils en ont le courage, ces Judas, ces sépulcres blanchis, étudier nos édits et ordonnances! Ils ne trouveront rien dâaussi infamant ni dâaussi déshonorant, eux qui ont lâaudace de nous traiter de barbares! De pareils invitatoires au meurtre, de comparables appels à lâassassinat nâexistent pas chez nous. Ah! il est beau, leur pieux Boston! Je mettrais ma main au feu que de pareilles injonctions ont été décrétées dans la virginale Nouvelle-York! Lâoccasion était trop belle!
Louis faillit sâétouffer de colère. Le rouge lui montait aux joues et exaspérait le réseau de veinules éclatées qui y fleurissait. Il serrait les poings et tout son corps frémissait dâindignation. Il brandit le placard injurieux à bout de bras et vociféra :
â Je lâenverrai au ministre et au roi ainsi quâà nos ambassadeurs pour quâils le portent en Angleterre! Nos amis anglais, qui nâont que les mots de « civilisation » et de « progrès » à la bouche,
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