Frontenac_T1
Laissez-moi vous expliquer, vous vous méprenez... Laissez-moi vous expliquer, enfin.
â Il nây a rien à expliquer. Ce que jâai vu ici me suffit amplement. Ãtez-vous de mon chemin! fit Louis, qui leva sa canne et la pressa contre Dollier de Casson en avançant sur lui. Ce dernier la saisit dâune main et y opposa le poids de son corps, tout en essayant de le raisonner.
â Je ferme cette prison sur-le-champ et personne, ni vous ni aucun autre, ne mâen empêchera. Et lâchez cette canne ou je demande à mes gardes dâintervenir!
Ces derniers ne savaient trop à quel saint se vouer et assistaient, impuissants, à cette joute dont lâenjeu les dépassait et où le ridicule le disputait au comique. Le gouverneur, hissé sur la pointe des pieds et tout tremblant de colère, poussait une canne inoffensive contre un géant qui lâaurait renversé dâun coup, sâil avait osé. Mais Dollier de Casson ne pouvait pas bousculer le comte de Frontenac sans risquer de sâattirer, ainsi quâà sa communauté, de graves ennuis.
Comprenant quâil nâen pourrait rien tirer dans lâétat de fureur avancée dans lequel il se trouvait, le supérieur des Sulpiciens lâcha prise et laissa passer le gouverneur. Louis ordonna à ses hoquetons de rester sur place, le temps quâil leur envoie du renfort, puis il tendit la main aux dames en déclarant dâune voix cinglante :
â Mesdames, quittons ce lieu infâme. Il me tarde de retrouver la civilisation.
Et Frontenac se remit en marche dignement, la tête haute et le torse bombé, fier de sa prestation et aussi convaincu de son bon droit quâun Christ chassant les vendeurs du Temple.
* * *
Des représentants des nations christianisées du Saint-Laurent se pressaient, nombreux, autour du grand feu de Kahnawake dont la flamme, haute et puissante, montait dans un ciel plombé de septembre. Il faisait un froid vif et un furieux vent dâautomne disséminait les feuilles en tous sens, couchait les blés, cassait les branches ou rabattait brusquement les flammes au sol, dans de longues traînées fumeuses.
Il y avait là des émissaires agniers, onneiouts, hurons, des représentants algonquins, nipissingues et abénaquis, réunis dans la Fédération des sept feux. Ils avaient demandé cette rencontre pour soumettre une pétition au représentant du roi. Frontenac, requis ailleurs, avait délégué lâintendant pour le remplacer. Après quâon eut fait circuler le calumet et échangé les palabres dâusage, la cérémonie des condoléances débuta. On pleura dâabord la mort de Le Moyne de Bienville, le deuxième fils de Catherine Thierry tombé récemment au combat, après Jacques de Sainte-Hélène, ainsi que la disparition de trois chefs de guerre christianisés, hautement appréciés dans leur communauté.
Lorsque vint le temps de présenter la requête, Oureouaré sâavança devant lâintendant, quâencadrait une poignée dâofficiers. Il agissait à titre de porte-parole de la Fédération.
Le discours quâil prononça était un rappel brutal dâune réalité que les Français avaient tendance à oublier, à savoir que les sauvages christianisés constituaient un rempart sans lequel ils auraient été incapables de tenir tête à lâIroquois. Et quâen conséquence, il était primordial de les considérer autant que les alliés des Grands Lacs et de leur attribuer leur juste part des bénéfices alloués par le roi.
Oureouaré ne mâcha pas ses mots lorsquâil déclara que si les Français ne leur versaient pas leur dû, les guerriers se détourneraient de lâalliance et renieraient les engagements de leurs ancêtres. Car, précisa-t-il, ils voyaient chaque jour partir sous leurs yeux de longs convois de canots chargés de provisions pour les tribus de lâOuest, pendant quâeux, leurs plus fidèles alliés, manquaient de tout. Il termina sa harangue en exhortant lâintendant à rétablir lâéquilibre en leur faveur.
Un discours qui suscita un tonnerre dâapprobations enthousiastes. Il avait bien parlé et résumé avec force lâensemble de leurs doléances. Champigny prit note de la menace voilée
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