Frontenac_T1
glacière. Il approcha néanmoins son corps du feu et persévéra jusquâà ce quâune douce chaleur monte enfin le long de ses jambes. Cela lui fit grand bien. Sâil avait entrepris ce voyage jusquâà Québec, câétait pour aborder une question importante avec Frontenac. «Cette fois, se dit-il, le vieux renard est surpris au terrier et ne peut plus mâéchapper. » Il avait tout son temps et se préparait à un siège en règle. Il nâavait pas lâintention de lui dorer la pilule et sâétait assuré de la complicité de Champigny, comme de celle de Rigaud de Vaudreuil, commandant des troupes. Une bonne majorité de militaires canadiens abondait dâailleurs dans son sens.
â La « petite guerre *  », mon cher Frontenac, a eu de nombreux mérites, dont celui de nous faire respecter de nos alliés et craindre de nos ennemis, mais je crois quâil est temps de passer maintenant à quelque chose de plus offensif. Nous avons mené depuis trois ans de nombreuses et sanglantes guerres dâescarmouches qui ont fauché beaucoup dâadversaires mais aussi, hélas! beaucoup trop des nôtres. Ces combats, ces luttes perpétuelles, ces partis toujours en mouvement ont épuisé nos soldats, nos officiers et nos miliciens. Sans parler de nos Indiens, qui ont fourni un tel effort ces dernières années que leurs troupes se sont décimées de façon inquiétante. Il est à craindre que nous nâayons plus les moyens de pratiquer cette stratégie, sans compter quâil devient évident que les Iroquois nous trompent avec des négociations qui ne sont que comédies, à seules fins de gagner du temps, de se renforcer et de débaucher nos sauvages.
Callières avait prononcé ces dernières paroles sans cesser de fixer la flamme qui montait à lâassaut dâune énorme bûche, la mordait et la léchait en sây entortillant comme un ver. Son crépitement rassurant tranchait sur le silence qui sâensuivit.
Derrière lui, planté devant la fenêtre donnant sur la ville haute, Louis sâétait immobilisé. Il regardait les dernières feuilles fuser dans toutes les directions sous les rudes coups de boutoir du vent. Au sol, un épais humus coloré sâépaississait à vue dâÅil. à ce rythme, ses trois superbes érables argentés seraient bientôt complètement dénudés, se dit-il distraitement, le visage buté. Ce dépouillement programmé de lâautomne le désenchantait. Un sentiment de solitude le saisit, mâtiné dâune espèce de lassitude à lâidée dâavoir encore à se battre pour faire accepter ce qui lui semblait pourtant relever de lâévidence.
Callières reprit, du même ton froid et déterminé :
â Le but caché des propositions de paix des Iroquois nâa jamais été que de nous empêcher dâélaborer un plan nous permettant dâenvahir massivement leurs cantons, comme lâont fait avec succès, il y a quelques années, les gouverneurs La Barre et Denonville.
Les propositions de paix auxquelles Callières se référait nâavaient jamais cessé depuis le retour de Frontenac, malgré dâincessantes et meurtrières attaques ennemies. Les Iroquois reparaissaient dès que les arbres étaient en feuilles, se postaient le long de lâOutaouais pour couper les communications, intercepter les Français et les Indiens alliés et piller leurs cargaisons. Et pourtant, des émissaires iroquois, «ces forcenés de la négociation» comme les qualifiait Callières, apparaissaient invariablement au milieu des granges brûlées et des maisons éventrées pour présenter des ouvertures de paix.
Bien que profondément contrarié, Louis se tenait coi. Câétait la première fois que Callières ouvrait si ostensiblement son jeu, et il était bien forcé de tenir compte de lâopinion du maître dâÅuvre de la politique de résistance à lâIroquois. Car si les décisions étaient prises par le gouverneur général en conseil de guerre, câétait le gouverneur de Montréal qui les exécutait, puisque les attaques ennemies se déployaient dans une région où Callières avait carte blanche pour organiser et
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