Frontenac_T1
de rébellion et ne manqua pas dâêtre impressionné par la justesse de la revendication, de même que par lâallusion directe à lâimportance de lâaide militaire fournie par les domiciliés. Il fut forcé dâadmettre quâils étaient pleinement justifiés de le rappeler à lâordre. Il était vrai que les distributions de présents prenaient plus souvent la route des Grands Lacs que celle de Kahnawake ou de Lorette, et que les Indiens christianisés étaient toujours les premiers sur la ligne de feu et, par conséquent, ceux qui perdaient le plus grand nombre dâhommes. Il était également vrai que la survie de la colonie dépendait directement de la continuité de leur appui.
Il nâétait que de voir leur nombre pour sâen convaincre. En cette fin de siècle, la population iroquoise de Kahnawake et du village de la Montagne équivalait à celle de Montréal et regroupait environ mille cinq cents habitants. Quant aux six cents Abénaquis regroupés à la chute de la Chaudière, ils surpassaient le total dâimmigrants français débarqués dans la ville de Québec lors des dix dernières années. Sans parler des Hurons et des Nipissingues...
Lâesprit et le ton du message délivré indiquaient bien, dâailleurs, que les dons réclamés constituaient une compensation dont il nâétait pas question de priver les christianisés. Aussi Champigny sâempressa-t-il de les rassurer sur la bonne réception quâon ménagerait à leur demande, et sâengagea-t-il à leur faire distribuer sur-le-champ de la farine, des raisins secs, du tabac et quelques couvertures en attendant de pouvoir faire mieux.
â Je pourrai répondre à vos requêtes dâici quelques jours et vous fournir autant de vivres et de munitions que nécessaire, fit-il, assez laconiquement dâailleurs, les longues envolées lyriques nâétant pas dans sa manière. Veuillez croire, continua-t-il pourtant, que notre grand roi, Louis le quatorzième, est éminemment reconnaissant de vos fidèles services, quâil est fort touché par votre héroïsme et quâil portera désormais autant dâattention à combler vos besoins que ceux des Français, puisque vous êtes également ses enfants.
Une promesse que Champigny nâaurait pas trop de difficulté à tenir, cet automne-là , car les fonds spéciaux expédiés par le roi avaient été augmentés du tiers et se chiffraient, en cadeaux de toutes sortes à offrir aux Indiens, à dix-sept mille neuf cent cinquante-huit livres. Un montant inégalé jusquâà ce jour. Sans parler des provisions de bouche, des munitions et des fusils dont les bateaux étaient chargés et qui leur seraient distribués.
Lorsque lâintendant fit mine de se retirer, Oureouaré sâavança vers lui. Champigny avait changé dâavis sur le compte de ce Goyogouin, dont il sâétait méfié dans les premiers temps. La conduite quâil avait adoptée ces dernières années ne laissait aucun doute sur son allégeance inconditionnelle aux Français.
Champigny lui donna lâaccolade avec chaleur et sâenquit de lui. Il savait que le Goyogouin avait épousé une Huronne, dont il avait eu deux enfants. Il avait pris racine au village de Jeune Lorette, près de Québec, et participait avec les Hurons à toutes les guerres dâembuscade menées contre les Cinq Nations. Il avait fini par se résoudre à faire la guerre aux siens, bien que cela le répugnât profondément. Quand il lui arrivait de tomber sur une patrouille goyogouine, il sâarrangeait pour ne pas sâen mêler, de peur que sây trouvent des membres de sa famille. Il lui était aussi arrivé dâexiger la libération de chrétiens onneiouts qui avaient participé au sauvetage du père Millet, que lâon savait maintenant en vie. En vie, et toujours actif pour la cause de la paix.
â Monsieur lâintendant, jâai pour toi quelque chose qui tâintéressera et qui sera cher aux familles concernées.
Oureouaré tira de sa besace deux épouvantails hirsutes quâil lui tendit fièrement.
â Quâest-ce que câest? fit Champigny dâune voix hésitante, en reculant dâun pas.
â
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