Frontenac_T1
la question, figurez-vous! Je continue à penser quâil faut continuer de ravitailler nos alliés, surtout en période de pénurie, justement pour ne pas leur laisser croire que nous sommes aux abois et manquons de tout. Même sâil devient difficile dâécouler nos fourrures en Europe. Vous savez pourtant aussi bien que moi, Callières, que lâenjeu en Amérique est de savoir qui, de nos marchands ou de ceux dâAlbany, sâappropriera le monopole de la traite. La nation qui sâimposera sur le marché des fourrures établira sa mainmise politique définitive sur les sauvages. Mais ma foi, jâai lâimpression de radoter. Dâailleurs, je refuse dâen discuter plus avant!
â Bon, puisque câest ainsi. Mais nous en reparlerons, fiez-vous à moi. En attendant, mon cher, permettez que je me retire.
Callières basculait déjà vers lâavant, tout en rassemblant assez de forces pour sâextraire de la bergère en se cramponnant au manteau de la cheminée. Il transféra sa masse sur ses jambes ankylosées et se dirigea ensuite vers la porte dâun pas court et mesuré, sans même daigner gratifier son hôte dâun regard.
Il bouillonnait intérieurement.
Mais il lâaurait à lâusure, le vieux buté, la tête de Gascon. Il le travaillerait au corps, il se le promettait bien. Il était dâailleurs persuadé que les événements le pousseraient un jour jusque dans ses derniers retranchements et que cela ne saurait tarder.
* * *
Louis jeta un Åil attentif sur le spectacle qui sâétalait à ses pieds, dans toute la luminosité de ce clair matin dâautomne. De son nid dâaigle surplombant le Cap-aux-Diamants et grâce à lâorientation particulière du château, on pouvait embrasser de la fenêtre de son bureau une large partie de la basse-ville. Chaque fois quâil posait lâÅil sur la petite agglomération, il en tirait autant de fierté que sâil lâavait construite de ses propres mains. Il lâaffectionnait particulièrement, même si elle était étranglée entre le fleuve et la falaise. Il y sentait battre le pouls de la population plus intensément que dans la ville haute, plus aérée, avec ses beaux monuments conventuels et ses rues convergeant vers le château Saint-Louis.
Depuis lâincendie qui avait complètement rasé la place Royale, tout avait été rebâti en plus beau et plus solide. Les nouvelles constructions, souvent assises sur dâanciennes fondations, étaient plus élevées et désormais en pierre. Les carrés de maison sâétaient agrandis en profondeur et possédaient un second étage, et les cours logeaient des bâtiments annexes : latrine privée, boulangerie, boucherie, étable ou boutique. Les aménagements et les façades sâalignaient de façon coordonnée, selon un courant à la mode en Europe et en accord avec les règlements que Frontenac avait lui-même édictés. Mais comme les maisons étaient plus spacieuses et les lots inchangés, lâespace urbain sâen trouvait plus densément occupé quâauparavant. Cela donnait lâimpression dâune section de ville fortement peuplée, alors quâelle ne comptait quâune centaine dâhabitations côtoyant vingt bâtiments commerciaux, des magasins, des ateliers dâartisan et quelques brasseries.
Lâessor particulier de Québec, sa prodigieuse vitalité, en dépit de lâisolement, de la guerre constante et de la menace dâun nouveau siège, ne cessaient dâailleurs de lâétonner. Louis y reconnaissait la volonté de vivre et lâacharnement particulier de ce petit peuple français transplanté comme un bourgeon fragile en terre dâAmérique et déjà acclimaté, prospère, et vigoureusement enraciné à son nouveau terreau.
Il était de merveilleuse humeur, ce matin-là . Les ébats de la nuit précédente lui avaient redonné le sommeil de ses vingt ans. Perrine sâétait révélée si ardente et si passionnée quâil avait craint de ne pouvoir la satisfaire et avait dû jouer sur des cordes nouvelles, ce dont elle sâétait trouvée enchantée. Mais il ne rajeunissait pas... alors que sa maîtresse, plus jeune de trente
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