Frontenac_T1
perte irrémédiable pour le pays. Mais la bataille de la Prairie-de-la-Madeleine a été autrement dévastatrice. Lâauriez-vous oubliée, celle-là ?
Louis se mordit la lèvre. Comment effacer de sa mémoire une aussi cuisante défaite? Une attaque-surprise menée par le maire dâAlbany, Pieter Schuyler, au moment où la moitié des troupes avait été retirée. Comme la nuit était sans lune, les réguliers nâavaient pas vu venir lâennemi qui leur avait fauché une vingtaine dâhommes. Heureusement que le commandant Valrennes sâétait jeté à leur poursuite et leur avait bloqué la route. Lâaffrontement sâétait rapidement transformé en corps à corps sanglant, où lâon sâétait battu à coups de baïonnettes, dâépées, de couteaux et de haches, pour en finir aux mains nues.
â Je dois admettre que ce combat a été fort meurtrier. Il aura au moins eu pour mérite de forcer ce Pieter Schuyler de malheur à y réfléchir à deux fois avant de revenir sây frotter. Il faut dire que nos hommes sont devenus des escarmoucheurs accomplis, aussi habiles que les Iroquois eux-mêmes.
â Bien sûr... bien sûr. Ils leur sont même supérieurs, par la discipline et lâesprit dâéquipe qui les animent bien davantage que les sauvages. Remarquez que dans un tel pays, ils nâont pas le choix. Ceux qui nâapprennent pas vite ne font pas de vieux os. Mais là nâest pas la question, enfin! lui rétorqua le gouverneur de Montréal sur un ton agacé.
Ce jeu de chat et de souris commençait à lâénerver. Le fin filou esquivait encore toute forme dâengagement.
â La « petite guerre », sâobstina Louis, est une stratégie qui continue de porter fruits. Jâai peu de confiance dans les expéditions à la Denonville. à chaque fois que mes prédécesseurs ont fait marcher de gros corps de troupes, ils ont éprouvé dâénormes problèmes de logistique et de ravitaillement. Et les résultats se sont toujours avérés bien au-dessous de leurs attentes. On sây bornait à incendier des villages et des récoltes, sans jamais réussir à mettre la main sur un seul damné Iroquois. Sâil faut continuer à se battre de la manière qui est désormais la nôtre, pour le moment du moins, je vous ferai toutefois la concession suivante : je mâengage à envoyer dès le printemps prochain une troupe de cinq à six cents hommes ravager les villages agniers. Cette maudite tribu, que lâon ne cesse de combattre et qui revient toujours à la charge en commettant à elle seule plus de déprédations que les quatre autres réunies, est une terrible épine à mon pied. Je suis fermement résolu à mâen débarrasser pour de bon en allant la surprendre comme un rat dans son trou!
Le gouverneur de Montréal quitta lâimpassibilité dans laquelle il sâétait campé et se redressa sur sa chaise. Câétait une demi-victoire, mais câétait mieux que rien. Poussant plus loin lâaudace, il rétorqua :
â Mais pourquoi pas dès cet automne? Le plus tôt sera le mieux.
â Parce que je nâaime pas la précipitation. Ce genre dâexpédition doit se préparer avec le plus grand soin et je manque de ressources en ce moment.
â Vous voulez dire que nous manquons dâhommes parce que trop dâentre eux ont été envoyés traiter chez les peuplades de lâOuest avec des canots chargés de biens de contrebande?
Callières faisait allusion aux cent vingt-huit miliciens et coureurs des bois expédiés récemment chez les Outaouais avec plusieurs centaines de livres de marchandises, ainsi quâà dâautres qui sillonnaient sans arrêt des territoires qui étaient jusque-là des chasses gardées outaouaises. Des voyages qui privaient la colonie dâun grand nombre de défenseurs pendant une année entière et qui détournaient dâeux les Outaouais, habitués à fournir les marchandises à ces tribus lointaines.
â Ah non! Vous nâallez pas me rebattre encore une fois les oreilles avec cette histoire? Nous en avons suffisamment parlé, ce me semble, et je connais par le long et par le large votre désaccord sur
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