Frontenac_T1
gérer la riposte.
â Pour vous dire bien franchement, mon cher Frontenac, continua Callières du même ton imperturbable, je nâai jamais véritablement cru en votre politique de pacification iroquoise, non plus quâà leur intérêt dây participer. Les Cinq Nations sont encore trop puissantes pour y être sensibles. Si vis pacem, para bellum , ne dit-on pas? Une guerre massive avec le gros de nos forces, cela seul leur facilitera lâentendement et les amènera à davantage de souplesse. Je ne vois malheureusement pas dâautre solution pour le moment. Nous reparlerons de paix par la suite...
Louis secoua la tête dans un mouvement de dénégation, le regard toujours rivé sur la frondaison des arbres. Il désapprouvait. Après un long silence où il apparut que Callières se tairait à son tour, il finit par desserrer les dents.
â Je vois que vous avez été travaillé à chaud par mes ennemis et je...
â Vos ennemis nâont rien à voir ici, mon cher, le coupa sèchement Callières. Il sâagit de stratégie militaire et je nâai besoin de personne pour me souffler que nous allons à notre perte si un coup de barre nâest pas donné et promptement!
Le gouverneur venait de hausser le ton, fait inusité chez lui et trahissant une vive irritation.
Louis changea de tactique.
â Je ne peux que vous donner raison sur certains points, mon cher Callières. La sincérité des négociateurs iroquois peut paraître douteuse, en effet, mais on ne peut pas refuser dây prêter une oreille attentive. Je crois, au contraire, que certains dâentre eux sont de bonne foi, mais que les conditions ne sont pas encore réunies pour permettre à des chefs tels que Téganissorens de se manifester. Mais ils y viendront et jâai confiance. Le tout est de savoir attendre. Les Agniers et les Onneiouts ont déjà perdu beaucoup dâéléments importants aux mains de nos sauvages chrétiens, ces derniers temps, et jâai ouï dire par des éclaireurs que leurs pertes se chiffreraient à pas moins de quatre-vingt-dix hommes. Toutes les bourgades agniers ne pourraient aligner désormais que cent trente guerriers!
â Mais les Agniers ne sont ni les Tsonontouans ni les Onontagués, lui rétorqua vivement le gouverneur de Montréal, et Téganissorens ne sâest pas encore montré le bout du nez, malgré vos demandes répétées. Il ne le fera dâailleurs que le couteau sur la gorge, et ses guerriers ne le suivront que lorsquâils auront assez peur de nous. Or, pour leur inspirer une telle frayeur, il faut frapper fort et droit au cÅur. Le fait de remettre à plus tard une attaque à large échelle ne fera quâenvenimer les choses. Il faut aller les assiéger dans leurs villages avec le gros de nos troupes et au plus tard cet automne. Jâentends que vous en preniez aujourdâhui la résolution.
Cette fois, Callières se tourna franchement vers Frontenac. Il le fixait avec insistance, comme sâil attendait un engagement dans lâinstant. Louis para le coup en reprenant, dâune voix conciliante :
â Nous avons en effet perdu beaucoup dâhommes et parmi nos meilleurs éléments, je vous le concède aussi. Câest pourquoi on ne peut pas lancer dâexpédition massive avant dâavoir reçu au moins cinq cents à mille nouvelles recrues, des canons, des boulets, des mousquets, de la poudre, et enfin de lâargent pour terminer les fortifications de Québec, Trois-Rivières et Montréal. Ce dont jâimplore le roi dans chacune de mes lettres. Jâai dâailleurs mis ma femme et mes meilleurs alliés sur ce dossier. Ce serait une folie, dans lâétat actuel, dâenvoyer tous nos hommes chez les tribus iroquoises supérieures. Cela viderait littéralement le pays de ses défenseurs et le laisserait à la merci des Anglais. Je crois plus prudent, pour le moment du moins, dây aller par petits détachements. Voyez le grand succès de la bataille de Repentigny, sans parler de celle que nous venons de remporter sur lâOutaouais!
Callières, bon joueur, opina.
â Il est vrai que les batailles de Repentigny et de lâOutaouais ont été de belles victoires, même si nous y avons aussi perdu huit de nos meilleurs officiers. Une
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