Frontenac_T1
ans, en redemandait. Il échappa un sourire. Il la soupçonnait dâavoir eu vent de ses approches récentes auprès dâune femme de bonne naissance, fraîchement débarquée de France. Cette madame Bertou était une vieille jeune fille désargentée qui avait connu la vie parisienne et sâen souvenait. Louis se sentait plein dâaffinités avec elle. Ils avaient parlé littérature, arts, théâtre, ce qui était rafraîchissant, et la dame était élégante. Certains appas étaient encore beaux, en particulier la taille et la chute de rein. Côté poitrine, elle ne pouvait surclasser Perrine. Peu de femmes lui faisaient dâailleurs ombrage à ce chapitre, fut-il obligé dâadmettre. Il lui semblait pourtant quâune petite incursion en territoire inconnu lui ferait grand bien. Il avait besoin de nouveauté, que diable! Quel homme pouvait se contenter de creuser toujours le même sillon? Et Perrine ne serait-elle pas la première à en profiter? acheva-t-il de se convaincre alors que Monseignat entrait dans son bureau.
Le jeune secrétaire était particulièrement rayonnant depuis son récent mariage avec Claude de Sainte, une jeune fille de bonne famille, née en Canada. Comme Louis nâavait pu assister aux épousailles, il avait déposé cinq cents livres dans la corbeille de noces du jeune homme. La somme était méritée et sâajoutait à la part de profits sur les congés de traite que Louis avait commencé à lui verser. Une générosité dont se plaignait Champigny. Câest que le salaire de Monseignat était ridicule en regard de ses qualifications : avant de venir au pays, il sâétait formé à la Chambre des comptes de Paris, dans lâéconomique et le juridique, et avait travaillé pour lâadministration publique. Et il avait une excellente plume quâil mettait inconditionnellement au service de la bonne réputation de Frontenac. Sa Relation de ce qui sâest passé de plus remarquable en Canada , rééditée chaque année et expédiée à madame de Maintenon ainsi quâà la comtesse de Frontenac, connaissait un incroyable succès à la cour. En particulier le récit émouvant quâil avait fait du siège de Québec et dans lequel il attribuait au gouverneur le mérite exceptionnel dâavoir sauvé la Nouvelle-France. Des services qui ne sâoubliaient pas...
Louis nâavait pourtant pas encore réussi à faire accorder de gratifications à Monseignat, bien quâil ait pesé de toute son influence pour y parvenir. Le ministre avait refusé à deux reprises les demandes dâavancement réclamées par le jeune homme et Louis commençait à se demander si sa mauvaise réputation ne déteignait pas sur celle de son secrétaire particulier. Il comptait bien cependant réclamer pour lui la charge de commissaire de la Marine, puisque Monseignat avait les compétences pour occuper le poste. Sans solde, bien entendu, comme charge honorifique, le prestige menant souvent à des responsabilités plus lucratives.
â Monsieur le chevalier Boisberthelot de Beaucours réclame audience, monseigneur.
â Faites-le entrer, Charles.
Un homme de petite taille mais vif et droit, lâÅil clair et le teint rosé, sâavança dans la pièce dâun air décidé. Câétait un capitaine réformé qui sây entendait en fortifications et que Louis avait engagé pour achever les travaux de lâannée précédente.
â Monsieur de Beaucours, je vous attendais avec impatience. Alors, comment avance notre chantier?
Louis nâavait pas suivi les travaux de très près, cet été-là , ses obligations lâayant beaucoup retenu à Montréal, mais il avait lâintention de reprendre les choses en main. Il se pencha sur la carte que Beaucours sâoccupait à déployer sur une table.
â Tout va du mieux quâil est possible, monseigneur, étant donné lâimportance des tâches à accomplir. Voyez vous-même. Jâai scrupuleusement appliqué les principes de monsieur de Vauban pour les proportions à donner au tracé de la ligne magistrale, la manière de déterminer les flancs et la courtine, le rempart, et lâangle des bastions qui ne doit pas dépasser
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