Frontenac_T1
été bon pour justifier ses lamentables échecs. La première fois, souvenez-vous, il a quitté ces rivages équipé jusquâaux dents pour aller déloger définitivement les Anglais de Fort Bourbon, et quâen est-il résulté? Une traite fructueuse, il est vrai, la prise de trois bâtiments anglais et la destruction de Fort Severn, il est vrai aussi, mais lâennemi se maintient toujours aussi solidement à Fort Bourbon. Et lâannée suivante, il a fait pire encore... en arrivant ici trop tard pour entreprendre une quelconque expédition vers le nord.
â Ãquipé jusquâaux dents, vous y allez un peu fort, ce me semble, mon cher comte, lui rétorqua aussitôt Champigny, agacé de voir encore Frontenac égratigner son protégé. Nâêtes-vous pas un peu injuste à son égard? Vous savez comme moi que sâil nâa pas réussi à prendre Fort Bourbon la première fois, câest justement parce quâil nâétait pas assez bien équipé. Iberville lâa mis en lumière dans le mémoire adressé au roi. Lâennemi les attendait et bloquait lâentrée de la rivière Sainte-Thérèse avec trois gros navires, dont lâun de quarante canons, et un brûlot * , alors que notre homme nâavait à leur opposer que deux petits voiliers armés de dix-huit et douze canons. Cela aurait été une pure folie de sâattaquer à aussi forte partie, aussi a-t-il eu lâintelligence de cingler plutôt vers Fort Severn, quâil a complètement incendié. Et lâannée dernière, si ma mémoire est bonne, monsieur dâIberville nâest pas arrivé trop tard. Le sieur du Tast, qui devait se joindre à lui et mettre son navire sous son commandement, est arrivé à Québec le 13 juillet et a prétendu quâil était trop tard pour repartir. Il trouvait son bateau trop mal équipé pour entreprendre une telle expédition, alors que les navigateurs consultés sur le sujet ont estimé que la saison nâinterdisait en rien lâentreprise.
Louis se souvenait très bien de ce du Tast, qui lâavait poussé à bout.
Ce petit personnage prétentieux et hautain était arrivé ici avec des exigences démesurées. Monsieur le commandant des vaisseaux du roi prétendait à rien de moins que de se faire attribuer la part du lion dans les profits de la Compagnie du Nord et refusait de se placer sous le commandement de Pierre dâIberville, quâil méprisait dâailleurs ouvertement pour nâêtre ni officier de la Marine ni issu dâune noblesse de souche. Et parce quâil nâavait pas obtenu gain de cause, lâintrigant avait osé invoquer le prétexte de la saison trop avancée pour faire échouer lâexpédition. Louis était alors entré dans une colère si vive quâil lui avait ordonné dâune voix blanche de se placer illico sous lâautorité de Pierre dâIberville, pour aller croiser dans les parages de lâAcadie. Comme lâautre prenait de grands airs offensés et répugnait à sâexécuter, Louis lâavait carrément menacé de le mettre aux fers, ce qui lâavait calmé net. Pour une fois, Champigny avait totalement approuvé.
â Mais cette année, continua Louis, Iberville nâa-t-il pas traîné trop longtemps à La Rochelle pour pouvoir remplir sa mission? Il devait partir au plus tard le 10 avril, il a pris la mer le 14 mai, pour ne mouiller devant Québec que le 19 dâaoût. Imaginez! Vous me direz, bien sûr, que les complications, les retards de dernière minute, les vents contraires, les tempêtes, les corsaires... et que sais-je encore... ont dû ralentir sa course?
â Mais certes, certes, je vous dirai tout cela et bien davantage...
Champigny ne lâchait pas prise lui non plus, irrité par cette propension quâavait Frontenac à toujours blâmer le moindre geste de lâexplorateur, par une espèce de hargne malsaine difficile à expliquer chez un homme au faîte de sa carrière et que le succès dâIberville ne menaçait pourtant dâaucune façon.
â ... oui, bien davantage, et notamment que sâil devait partir le 10 avril, le 24 du même mois il était toujours immobilisé à La Rochelle avec seulement
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