Frontenac_T1
soixante-cinq hommes à bord et des préparatifs qui traînaient en longueur, à cause de lâinsouciance des fonctionnaires et armateurs de tout acabit; que les navires marchands quâil devait escorter le ralentirent considérablement; quâà la hauteur de lâîle de Fer, sa flotte rencontra une frégate hollandaise chargée dâalcools et une flûte espagnole bourrée de sel et de sirops à qui Iberville dut donner la chasse jusquâà ce quâelles se rendent. Et je vous dirai surtout quâune fois arrivé à Québec, notre patient navigateur dut attendre plus dâun mois votre retour de Montréal pour prendre vos ordres avant de partir.
â à croire que vous ne faites que cela, suivre avec passion les moindres allées et venues de votre César des mers? Vous me direz tout ce que vous voudrez, monsieur de Champigny, jamais vous ne mâenlèverez de lâidée que trois échecs consécutifs, câest beaucoup pour un seul homme. Et que cela donne à penser quâil nâest pas très intéressé par lâexpédition de la baie dâHudson, peut-être parce quâil y a plus de profits à tirer du côté de lâAcadie que du côté de la mer du Nord, ou quâil répugne à sâéloigner trop longtemps de sa belle Marie-Thérèse Pollet, dont il est si follement épris quâil en perd jusquâau sens des responsabilités.
La mesquinerie de lâaccusation sidéra lâintendant. Il préféra ne pas relever la remarque et demeura silencieux.
â Enfin, fit Louis, en adoucissant le ton, souhaitons au moins quâil réussisse lâexpédition que nous lui avons confiée en dernier recours. Je crois que si Pierre dâIberville et Bonaventure arrivent, avec leur armada et leur petite armée, à se rendre à la baie Française pour embarquer trois cents de ces Abénaquis qui font trembler les villages de la Nouvelle-Angleterre, ils seront en état dâexécuter de vigoureux coups de main du côté de Boston et de la Nouvelle-York.
â Vous avez de ces mots, monsieur le comte! Deux frégates ne font pas une armada, et les troupes dâIberville ne forment pas non plus une armée. Ils ont à peine une soixantaine dâhommes et leur force ne repose que sur lâélément de surprise.
â Mais avez-vous donc entrepris de me chicaner systématiquement, mon cher intendant? lui rétorqua Louis avec un rire bonhomme. Vous cherchez visiblement la confrontation en ergotant sur des détails, mais vous ne me ferez pas sortir de mes gonds, mâentendez-vous? Pas aujourdâhui.
Se sentant détendu, Louis le prenait sur un ton badin. Il voguait toujours sur son bel élan de la nuit précédente et refusait de se laisser assombrir. Une attitude qui ne manqua pas de déconcerter Champigny. Quelle mouche avait donc piqué Frontenac pour quâil se montre si désinvolte à son égard, alors quâil sombrait dâordinaire dans une colère noire chaque fois quâil ouvrait la bouche? Encouragé par ces dispositions nouvelles, Jean Bochart sâenhardit à lui rappeler que le ministre avait demandé quâils rédigent tous deux une lettre exposant lâensemble des arguments pour et contre la reconstruction de Fort Cataracoui. Avant de donner son accord définitif, le roi souhaitait entendre une dernière fois les raisons des deux partis.
Louis sourcilla. Il lui semblait pourtant avoir déjà expliqué le tout de long en large et dans plusieurs placets.
â Pour faciliter les choses, voyez, monsieur le comte, jâai déjà rédigé la partie qui me concerne, en laissant assez dâespace pour que vous inscriviez vos arguments dans la marge de droite. Quâen pensez-vous?
Jean Bochart tendit à Louis trois pages séparées en deux par un long trait vertical et remplies, du côté contre, dâune longue liste de raisons couchées sur le papier dâune petite écriture dense et pointue. Louis y jeta un Åil distrait puis, relevant la tête, fixa Champigny droit dans les yeux pendant un long moment, pour finir par lui souffler sur un ton doucereux et à deux doigts du visage.
â Vous avez donc tant de motifs de rejeter ce projet, mon cher ami? Ã croire que vous en faites une affaire personnelle. Ou
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