Frontenac_T1
se vit ici. Cela est normal. Mais dites-moi franchement, que pensez-vous de moi?
â De vous, monseigneur? fit le jeune homme, fort étonné.
Câétait bien la première fois que Frontenac lui posait une telle question. Il était embarrassé. Que fallait-il comprendre au juste?
â Que voulez-vous dire, monseigneur? Ce que je pense de vous comme homme... ou comme gouverneur?
â Les deux. Mais bon, je vais vous simplifier la tâche. Dans ce cas précis, trouvez-vous que jâai eu tort dâagir comme je lâai fait avec lâintendant?
â Je ne sais pas si vous avez eu tort, mais je crois que ce nâest certainement pas la bonne façon de vous lâamadouer ni de le mettre de votre côté, lui répondit finement ce dernier.
Un sourire flotta sur les lèvres de Louis. Il appréciait lâintelligence du jeune homme.
â Me trouvez-vous si difficile à vivre, Charles? Ont-ils raison, tous les autres, de me dire agressif, hargneux, colérique et monté sur mes grands chevaux pour des riens? Suis-je donc si détestable et ai-je donc tort de mâacharner à ce point? Allez, allez, soyez honnête, je ne vous en tiendrai pas rigueur.
Monseignat était surpris de cette propension soudaine à lâautocritique chez un homme dâhabitude si peu porté aux confessions. Frontenac était-il malade ou profondément abattu? Inquiet, il ne savait trop quel parti adopter. Il opta pourtant pour la franchise, tout en pesant soigneusement ses mots.
â Il est certain que vous nâêtes pas une personnalité... facile ni... disons... malléable. Et que vous menez souvent vos dossiers avec... autorité et... de façon pour le moins... impérieuse... un brin intransigeante, peut-être parfois. Ce qui vous a souvent réussi mais... qui vous dessert aussi quelquefois. Comme dans le cas présent, par exemple. Puisque vous me demandez mon avis, je vous le donne. Avec monsieur lâintendant, jâoserais avancer, sauf votre respect, que si vous le traitiez avec davantage de douceur ou de... disons... gentillesse, peut-être y gagneriez vous. Feindre dâêtre de lâavis de quelquâun et ne pas le contredire systématiquement peut parfois sâavérer plus fructueux que de lui tenir carrément tête.
â Ce sont là des principes que Machiavel nâeût pas désavoués. Est-ce ainsi que vous faites avec moi, Charles, dites-moi? lui rétorqua Louis en riant.
Le secrétaire pouffa de rire à son tour. Il était évident quâil sâétait habitué à se taire, à tourner trois fois sa langue dans sa bouche avant de parler ou à faire mine dâapprouver, surtout quand Frontenac était de méchante humeur. Ainsi, dans le cas dâIberville, sâil épousait entièrement lâattitude de Champigny vis-à -vis de lâexplorateur, il se serait fait hacher menu plutôt que de sâen ouvrir à Frontenac. Car sa jalousie maladive à lâégard de cet homme était viscérale et semblait échapper à toute raison.
Louis tourna le regard vers lââtre et se mit à parler tout haut, comme sâil était seul. Sa voix sâétait nouée.
â Bien sûr, jâai commis beaucoup dâerreurs dans ma vie... et je me suis attiré bien malgré moi beaucoup... dâinimitiés. Mais comment aller à lâencontre de son tempérament, quand il est aussi incommode, impérieux et révolté que le mien? Jâai été élevé par un père impitoyable qui me poussait à me dépasser et me fouettait lorsque je le décevais, et par une mère soumise qui sâinclinait avec admiration devant les manières autoritaires de son mari. Quant aux précepteurs qui mâont pris en charge, dâaussi loin que je me souvienne, jamais aucun nâa eu le moindre geste... dâestime ou de... gentillesse à mon égard. Il nây a quâHenriette-Marie, en fait... qui a su me consoler... et me cajoler, comme lâenfant que jâétais.
La voix de Louis vacilla sur ces dernières paroles.
Monseignat détourna le regard. Il ne se reconnaissait pas le droit de pénétrer si avant dans les confidences du gouverneur, et le fait dâêtre témoin dâun tel moment de vulnérabilité le mettait mal à lâaise. Il ignorait tout de
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