Frontenac_T1
Bostonnais nâen finissaient plus de rembourser les dettes qui avaient résulté de ce deuxième échec, tout en essayant de remettre à flots les quelques bâtiments qui leur restaient. Une malheureuse expédition pendant laquelle ils avaient perdu des centaines de braves soldats. Voilà où ils en étaient. Et voilà aussi pourquoi Schuyler ne pouvait se payer le luxe de perdre la partie qui sâétait engagée entre lui et les Iroquois.
Ses ruminations furent interrompues par des sonneries de trompette et de cor. Les ambassadeurs sâamenaient. Le maire sâinstalla à la grande table du conseil, suivi des autres Pères de la cité : le greffier, le shérif, les échevins et les officiers du fort. Des interprètes anglo-hollandais se joignirent à eux. Puis les délégués iroquois sâavancèrent à leur tour, précédés de Téganissorens, leur négociateur en chef.
Câétait un homme bien découplé, à la taille haute et aux larges épaules. Il se tenait droit comme un chêne et se déplaçait avec la dignité dâun prince du sang. Dâépaisses rayures de peinture bleue, étalées de la ligne des cheveux au menton, barraient un visage aux traits forts mais réguliers. Lâhomme en imposait et méritait amplement la réputation de redoutable négociateur qui le précédait. Les Anglais nâignoraient pas que le comte de Frontenac lâestimait particulièrement et avait fermement exigé sa présence aux négociations de paix.
LâOnontagué, flanqué de ses deux interprètes, prit place à lâautre bout de la longue table. Certains de ses acolytes lâimitèrent et sâassirent à leur tour, cependant que dâautres restaient debout derrière, les bras croisés sur la poitrine. Schuyler, que les Iroquois appelaient Quider, brisa la glace en saluant ses interlocuteurs avec chaleur, tout en leur rappelant lâimportance des discussions à mener et de la décision à prendre. Puis, dâune voix quâil voulait posée, il se mit à lire la conclusion des dernières rencontres du comité des affaires indiennes. Après quoi, il se répandit en cuisants reproches.
â Vous avez manqué à vos engagements et agi avec perfidie et traîtrise en vous réunissant à Onontagué sans nous consulter. Vous pouvez être sûrs que Son Excellence, sir Benjamin Fletcher, gouverneur de New York, ne sera pas satisfait de vos excuses et de vos regrets dans une affaire aussi importante, surtout après lâengagement que vous aviez pris devant lui de ne rien faire sans sa présence et son consentement. Toute discussion de ce genre devait avoir lieu à Albany et devant nous. Au lieu de quoi vous avez agi seuls et pris la décision de négocier avec nos ennemis. Nâaviez-vous pas pourtant accepté de cesser toute correspondance avec les Français et ne deviez-vous pas nous livrer le prêtre Millet, qui trahit toutes vos actions?
Schuyler brandissait la liasse de papiers renfermant le détail des engagements pris par les Iroquois.
â Tout est consigné ici, mot pour mot! fit-il, en pointant le document dâun index accusateur.
Il adoucit ensuite le ton et leur tint un langage moins acerbe. Il dut aussi ralentir son débit, à la demande des interprètes. Après leur avoir remémoré le massacre de Fort Cataracoui par les Français, six ans plus tôt, les prisonniers de Denonville envoyés aux galères, insisté sur la perfidie et la duplicité des Français, il sâétendit longuement sur la protection inconditionnelle que les Anglais leur avaient toujours fournie. Nâétaient-ils pas accourus pour défendre les Agniers quand les Canadiens avaient envahi leur territoire, lâhiver précédent? Nâétaient-ils pas demeurés leurs plus fidèles alliés et leur rempart le plus sûr contre leur ennemi?
â à preuve, continua-t-il, la générosité exemplaire des habitants dâAlbany qui se sont portés sans hésiter au secours des Agniers en sâengageant à les nourrir jusquâà ce quâils puissent subvenir eux-mêmes à leurs besoins!
Il poursuivit, en sâadressant plus particulièrement à leurs représentants :
â Je mâétonne et jâai honte de la
Weitere Kostenlose Bücher