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jouait du fifre et que lâon battait du tambour. Suzanne, ses compagnes et la poignée de Hurons de Lorette qui lâaccompagnaient furent conduits dans le grand salon où était dressée une longue table chargée de mets prisés des Indiens : des viandes grillées, des poissons et des légumes. Pour le dessert, on avait conseillé à Louis de leur faire servir du melon dâeau et du sirop dâérable, autant de douceurs que le sauvage affectionnait. Louis avait fait ajouter à la dernière minute des tartes et quelques pots de confitures, au cas où cela trouverait bon accueil.
Avant de passer à table, il fallut se plier à la cérémonie du calumet et au traditionnel échange de présents. Suzanne tira quelques bouffées de la longue pipe sculptée ornée de griffes dâours, un cadeau des Hurons de Lorette, et laissa aux hommes présents le soin de continuer le cérémonial. Louis reçut dâabord le fameux calumet, le présenta aux quatre points cardinaux, en aspira un bon coup puis le fit passer à la ronde. Il circula de bouche en bouche. Après quoi, il offrit à ses invités deux colliers de porcelaine blanche et prit la parole en sâadressant à la mère de clan :
â Ma joie est grande, en ce jour, Suzanne Guantagrandi, de vous recevoir à ma table. Je tiens à vous témoigner ma reconnaissance pour avoir épargné la vie de notre missionnaire, le père Pierre Millet, ainsi que celle de plusieurs de nos soldats et interprètes. Ces gestes témoignent dâune bonté et dâune sollicitude auxquelles nous sommes particulièrement sensibles. Votre conversion au christianisme et le zèle avec lequel vous pratiquez votre nouvelle religion nous tiendront lieu dâexemple. Veuillez considérer désormais ce pays comme le vôtre et vous y sentir chez vous, quoi quâil arrive entre nos peuples. En gage dâamitié, je tiens à vous remettre personnellement quelques petits présents.
Frontenac fit apporter les différents objets quâil avait sélectionnés et les lui remit : une paire de peignes de nacre savamment sculptés, un fin bracelet dâargent spiralé, des rubans et des dentelles pour sa parure et celle de ses compagnes, des rassades de porcelaine, ainsi quâune série de médailles dâargent à lâeffigie de la Vierge Marie. Pour faire bonne mesure, il ajouta avec beaucoup de solennité, et lâair de sâen séparer à regret, un lourd chapelet de verre orné dâune grosse croix dâor.
â Prenez également ce chapelet qui mâest particulièrement précieux. Il me vient de ma grand-mère maternelle, qui lâa elle-même reçu lors de sa première communion. Vous lâutiliserez pour vos dévotions quotidiennes.
Ce dernier cadeau parut toucher profondément Suzanne qui se leva, prit la main de Louis et la porta avec dévotion à ses lèvres.
Puis la vieille femme se tourna vers les siens et fit un signe de la tête. Des ballots de fourrures furent apportés et déposés aux pieds du gouverneur. La mère de clan devait connaître le point faible dâOnontio...
Elle se fit ensuite remettre une ceinture de wampum et se lança dans un discours symbolique où il était question dâun long voyage vers la paix entrepris dans un sentier parsemé dâembûches et dâennemis prêts à fondre sur ceux qui prétendaient lâentreprendre. Sa nation, en particulier le clan du Loup, mentionna-t-elle, avait toutefois réussi à aplanir le chemin menant des Français jusquâà elle, et souhaitait vivement une accalmie avec Onontio.
â Voici les lacs, les rivières, les montagnes et les vallées quâil faut traverser pour se rendre jusquâà nous, voici les portages et les chutes dâeau, dit-elle en désignant sur la ceinture de perles les différents triangles et carrés censés représenter ses paroles. Remarquez tout, afin que dans les nombreuses visites que nous nous rendrons les uns aux autres, personne ne sâégare. Les chemins seront désormais faciles et on ne craindra plus les embuscades, puisque nous serons autant dâamis.
Les palabres terminés, on put enfin se mettre à table. Les domestiques sâempressèrent dâapporter les plats. Comme les
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