Frontenac_T1
cependant, et avait tendance à minimiser ses chances de réussite.
«Que les Iroquois mettent à exécution leur menace de faire la paix avec le comte de Frontenac et nous sommes perdus, se disait-il. Les Canadiens tourneront aussitôt toutes leurs forces contre nous. Qui alors nous servira de rempart contre la barbarie? Nous serons seuls face à une horde déchaînée dont on mâassure quâelle se consolide chaque jour davantage. Le Canada a reçu des recrues, beaucoup de recrues, et une rumeur veut quâon lui en envoie plus du double au printemps prochain. »
Le maire dâAlbany aurait été en meilleure posture si les colonies voisines les avaient soutenus. Mais ses invitations répétées, ses ambassades, ses supplications désespérées auprès de leurs représentants nâavaient encore rien donné, malgré le décret du roi Guillaume les enjoignant de participer à lâeffort nécessaire pour défendre les frontières du nord contre le Canada. Schuyler enrageait à lâidée de ne pas avoir réussi à rassembler les quotas dâarmes, de munitions, de vivres et de soldats que le Massachusetts, la Virginie, le Maryland, la Pennsylvanie et le Connecticut devaient lui fournir. Câétait toujours la même histoire. à lâexception du Massachusetts, les autres colonies anglaises se sentaient peu concernées par le péril français et alléguaient leur dénuement et leur pauvreté pour ne rien concéder.
Les quelques lignes écrites récemment par le gouverneur de New York, à propos des Canadiens, lui remontèrent en mémoire : Il semble honteux quâune poignée de vermine se loge ainsi dans ce pays du Canada, quand le roi a tant de nobles colonies britanniques qui pourraient la jeter toute à la mer, mais nous ne sommes malheureusement pas unis et la pauvreté gagne chaque jour .
«Poignée de vermine, sans doute, mais indiscutablement redoutable », pensa le maire dâAlbany. Il était bien placé pour en témoigner. Lâexpédition vengeresse quâil avait menée en territoire ennemi, quelques années plus tôt, lâavait fort édifié sur la dangerosité de cette soi-disant vermine. Il sâétait avancé jusquâau fort de Prairie-de-la-Madeleine, sur la rivière Richelieu, et avait réussi à tromper la vigilance de Frontenac et à faire de nombreuses victimes. Mais ce qui sâannonçait comme une victoire sâétait terminé en déroute. Il avait été pris à revers par un corps important de troupes françaises et lâaffrontement avait viré en furieux corps à corps, au point où les hommes sâétaient mis de la bourre dans le ventre et sâétaient brûlé les chemises en tirant à bout portant. Une bataille et un carnage quâil nâétait pas près dâoublier...
Mais Schuyler avait été autrement secoué en apprenant lâinvasion du territoire agnier par les forces canadiennes, lâhiver précédent. Elles avaient réussi un véritable exploit : prendre par surprise un canton iroquois au cÅur même de lâhiver et se replier avec pas moins de trois cents prisonniers! Ces maudits Français avaient remporté le pari improbable de décimer lâune des plus féroces nations iroquoises. Mais de quelle étoffe étaient donc faits ces gens-là et sur quel terreau avaient-ils grandi, pour réussir une campagne que les Indiens eux-mêmes nâauraient jamais osé entreprendre? Depuis lors, les Agniers étaient défaits, humiliés et complètement découragés. Quant aux quatre autres tribus iroquoises, des groupes influents en leur sein commençaient à se laisser sérieusement tenter par les sirènes de la paix. Les démarches de Tareha auprès des Français indiquaient à quel point les Iroquois paraissaient envoûtés par ce démon de Frontenac, ce vieillard perverti et corrompu qui leur promettait mer et monde sâils renonçaient à la guerre et les comblait de présents et dâinutiles babioles!
«Quant à compter sur les forces de Boston et des environs, songea-t-il, amer, il nâen est plus question depuis lâhumiliation de Phips devant Québec, et surtout, depuis leur dernier désastre en Martinique. » Les pauvres
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