Frontenac_T1
décision non seulement de renverser la chaudière de guerre, mais de la briser à tout jamais. Et cela pour parer le dessein que les Français nourrissent dâenvahir notre pays et le vôtre. De grands préparatifs de guerre sont en cours en Canada, où de nouvelles recrues sont arrivées récemment. Elles sont entraînées et bien armées, alors que nous manquons de tout. Nous nâavons plus ni armes ni munitions, et ni ta colonie ni tes voisines ne semblent capables de nous en fournir. Nous savons aussi que la grande expédition sur mer que vous avez lancée contre les Français, et en laquelle nous avions mis tant dâespoir, a encore misérablement échoué.
Schuyler échappa une grimace de contrariété. Bien que lâon eût tout fait du côté anglais pour éviter dâébruiter la nouvelle de ce désastre, elle sâétait tout de même répandue. Cela était de mauvais augure...
â Frère Quider, je te parle avec le cÅur, continua lâorateur en adoptant un ton plus intimiste. La raison de ces démarches de paix réside dans la condition misérable à laquelle nous sommes réduits. La chair est fondue sur nos os, mais elle sâest placée sur ceux de tes voisins qui sont gras, prospères et bien portants. Nous sommes décimés, nos meilleurs guerriers sont tombés par dizaines et nous craignons pour notre survie. Pourquoi sommes-nous toujours seuls à porter le fardeau de la guerre? Où sont tes frères du Massachusetts, du Connecticut, de la Pennsylvanie, du Maryland, de la Virginie? Pourquoi ne sont-ils pas à vos côtés, aujourdâhui? Ne font-ils pas partie de la même chaîne dâalliance et les Français ne sont-ils pas aussi leurs ennemis?... Comme nous ne pouvons plus continuer seuls cette guerre, nous avons résolu de faire la paix. Tu veux, dis-tu, une trêve, et tu souhaites notre présence pour parlementer avec Cayenquirago? Mais je nâai pas autorité pour décider de cela. Je suis dans la main du grand conseil qui mâa délégué pour être à Québec. Quant au prêtre Millet, qui est pour nous Otasseté et dont tu nous parles sans cesse, il nâest pas si fourbe que tu le dis. Nous savons quâil favorise sa nation dâorigine et bien quâil nous ait parfois déçus, il ne pourra jamais altérer la fidélité et lâattachement que nous avons toujours eus pour ton peuple. Enterre donc tout malentendu à son sujet et cesse dâaccorder autant de crédit aux racontars de tes cupides porteurs de rhum.
Ce dernier trait piqua Schuyler au vif. La présence du père Millet chez les Onneiouts était une épine à son pied et il nâavait jamais cessé dâexiger son élimination, convaincu que câétait lui qui poussait les Iroquois à céder aux pressions de Frontenac.
Lorsque Téganissorens eut cessé de parler, un lourd silence retomba sur lâassemblée. Comme la rencontre nâétait quâexploratoire, il nâavait déposé aucun wampum et il nâétait pas question dâentamer des discussions avant que les Anglais aient pu méditer cette entrée en matière. Il se leva donc, salua dâun bref coup de tête et quitta la pièce avec sa délégation. Les pourparlers étaient pour lâinstant terminés, et Schuyler comprit que la suite était remise à plus tard. Au lendemain ou au surlendemain, selon la disponibilité des sachems qui, eux, avaient tout leur temps.
Figé sur sa chaise, le maire dâAlbany demeura pantois. Il aurait souhaité crever lâabcès le jour même, arracher à ses alliés un engagement, un compromis, quelque chose qui aurait fait avancer le débat. Mais il avait manqué de tact. Ses reproches étaient malvenus et il sâen voulut dâavoir adopté le ton ferme et accablant préconisé par Fletcher. Les commissaires se trouvaient aussi interdits et avaient la mine longue. En détournant le regard vers la fenêtre, Schuyler vit que toute la ville était encore noyée dans la brume. Il pensa alors, résigné, quâil ne rentrerait pas chez lui de sitôt. Puis il se tourna vers ses compères et leur annonça sur un ton laconique quâil faudrait continuer à réfléchir pour trouver une solution qui satisfasse les
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