Frontenac_T1
consternation et de lâabattement qui se sont emparés de vous, Agniers. Je vous ai connus plus fiers et plus vindicatifs. La situation actuelle ne justifie pourtant pas un tel découragement.
Ce disant, il balaya dâun regard déterminé lâensemble des sachems .
â Et cette propension que vous semblez avoir pour la paix avec notre ennemi me déçoit au plus haut point. Jâai eu vent, figurez-vous, et par différentes sources, des décisions malheureuses que vos chefs ont prises à Onontagué. Je ne vous reconnais plus. Ressaisissez-vous, mes frères, et si ces félons de Français souhaitent à tout prix la paix, quâils viennent en discuter à Albany. Je leur délivrerai un sauf-conduit et leur garantirai la sécurité. Il nâest pas question que nous vous autorisions à négocier cette paix contre nous! Je ne le permettrai pas et nos colonies sÅurs, qui risquent dâinterpréter ce geste comme une déclaration de guerre ouverte, ne lâautoriseront pas davantage! Je vous demande instamment de nâenvoyer ni ambassades, ni messages, ni présents à Québec tant et aussi longtemps quâun prochain grand conseil nâaura pas eu lieu ici même, avec Son Excellence, sir Benjamin Fletcher. Est-ce clair? Coupez tout lien avec ces fourbes de Français et revenez en discuter avec Cayenquirago, le gouverneur de New York. Nous vous y convoquerons au moment opportun.
Voyant que le maire dâAlbany se taisait, Téganissorens se leva avec lenteur et prit à son tour la parole. Aucune émotion ne transparaissait dans son visage.
â Quand notre frère Cayenquirago nous a interdit de tenir un conseil général à Onontagué pour le tenir plutôt à Albany, commença-t-il dâune voix calme et vibrante, cela nous a grandement surpris. Mais nous nâavons rien dit, croyant à une erreur de sa part. Car nous nous sommes toujours réunis en conseil chaque fois quâil nous plaisait de le faire, et ce, bien avant que vous autres, tailleurs de haches, nâabordiez nos rivages. Jamais aucun gouverneur précédent nâa osé tenter de nous en priver. Une pareille défense de tenir nos assemblées est malheureuse et peut créer entre nous de graves dissensions.
Téganissorens fit une pause et regarda à tour de rôle chacun des membres du conseil anglais. Lorsquâil fut assuré que le message avait été bien traduit, il reprit :
â Quand vous autres, Blancs, êtes débarqués dans ce pays, nous vous avons reçus avec générosité et nous avons planté avec vous un arbre de paix, dont les branches et les racines sâétendent maintenant jusquâen Virginie. Si nous voulons continuer à nous prélasser ensemble sous son ombre, revenons à cet arbre et restons unis. Il est vrai que Tareha, un délégué onneiout, a été envoyé en Canada avec des offres de paix qui nâont pas encore abouti, et il est également vrai quâaprès notre dernier conseil, nous avons pris la décision de déléguer à Québec deux représentants de chaque nation, encouragés par ce que nous connaissons du gouverneur du Canada. Le comte de Frontenac est un vieillard paisible et sage, dont la parole est fiable. Pourquoi devriez-vous être irrités des démarches de paix que nous voulons engager avec les Français? Avons-nous exprimé de la colère à la suite des négociations que vous avez entreprises, sans notre accord, avec nos ennemis, les Outaouais et les Hurons?
Schuyler se mordillait le bout dâun doigt. Réalisant le ridicule du geste, il sâinterrompit et reprit un air sombre. Il se voyait forcé de reconnaître que Téganissorens avait raison. Lui-même sâétait étonné de la décision de Fletcher de leur interdire de tenir conseil. Quand il lui avait fait part de ses craintes à ce sujet, le gouverneur les avait balayées dâun revers de la main. Les Iroquois nâavaient pas tenu compte de lâinterdiction et sâétaient quand même réunis, en acheminant lâinvitation trop tard à Schuyler pour quâil puisse assister au conseil.
Mais Téganissorens continua :
â Je reconnais que nous autres, Onontagués, avons préparé le message de paix adressé au gouverneur Frontenac. Nous avons pris la
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