Frontenac_T1
lui pend!
Et je dirai, sans être des plus lestes,
Tu nâas que mes restes,
à roi!
Tu nâas que mes restes!
Pour comble de malheur, il avait laissé tomber un jour en tirant son mouchoir une lettre dâamour destinée à la Montespan, quâun courtisan ravi de lui nuire sâétait empressé de porter au roi. Câest ainsi que le monarque avait appris qui braconnait sur ses terres et tirait impunément son gibier. Dâautres couplets fort piquants avaient couru sous le manteau, mais Frontenac avait bientôt découvert que Louis XIV nâaimait pas être chansonné et quâil souffrait encore moins la concurrence au pays du Tendre * . Car câest en 1672 que le roi lâavait éloigné en le nommant pour la première fois gouverneur général de la Nouvelle-France. La favorite, à lâapogée de sa puissance, avait probablement multiplié les instances pour que Frontenac soit envoyé outre-mer, afin de prouver à son amant son amour et sa fidélité. Câétait du moins ce que Louis sâétait dit pendant ces longues années dâexil où il sâétait langui de sa femme, quâil aimait toujours, et de cette France, quâil tenait alors pour le centre du monde civilisé.
La faute, publiquement affichée, avait tellement blessé lâorgueil et lâhonneur de sa belle Anne quâelle avait préféré quitter son époux et vivre seule avec leur jeune fils, François-Louis.
Louis reprit la lettre dâAnne et la parcourut à nouveau. Puis il la porta à ses narines. Lâodeur, bien quâatténuée, était toujours la même. Un mélange subtil de tilleul, de chèvrefeuille et de romarin quâun parfumeur de renom avait préparé pour elle seule et dont elle sâinondait quotidiennement depuis plus de trente ans. Lâespace dâune vie... Trente années durant lesquelles Anne, bien que séparée de lui, sâétait montrée sa plus sûre alliée et lâambassadrice la plus douée pour pousser auprès de la cour ses affaires et celles de la Nouvelle-France. Sa correspondance assidue en témoignait.
«Dieu merci! une vie ne se résume pas au total de nos bêtises. On doit bien pouvoir lâévaluer autrement. »
Louis tira sur lui ses couvertures et sây blottit, tout en se disant quâun petit séjour de méditation au cloître des Récollets lui serait salutaire. Satisfait de sa résolution, il ferma les yeux puis succomba au sommeil, à lâexact moment où le soleil amorçait à lâhorizon sa longue course ascendante.
* * *
â Après tout, tonnait Frontenac, câest bien avec les mousquets, la poudre et le plomb des Anglais que les Iroquois nous attaquent! Ce sont bien leurs couteaux, leurs haches et leurs casse-tête qui servent à nous scalper et à nous massacrer! Et ne sont-ce pas leurs officiers qui les poussent contre nous? Nous les harcèlerons désormais de telle sorte quâils seront plus occupés à se défendre quâà nous venir attaquer!
Emporté par sa véhémence, le gouverneur général arpentait la pièce de long en large en faisant virevolter au passage la pointe des beaux fleurdelisés bleu et blanc, cérémonieusement alignés devant les fenêtres.
Ãtaient réunis autour de la longue table Le Neuf de la Vallières, capitaine des gardes, une dizaine dâofficiers supérieurs des Compagnies franches de la Marine, dont Boisberthelot de Beaucours, Claude de Villeneuve, lâingénieur du roi, lâintendant Champigny â le seul officier de plume toléré dans cet aréopage dâofficiers dâépée, comme il se plaisait à dire en se moquant â Hertel de Rouville, Pierre Le Moyne dâIberville et François Perrot, major de Québec. Monseignat, placé à la droite de lâintendant, consignait tout.
La grande salle du château servant aux rencontres extra ordinaires et aux réceptions de toutes sortes sâétait transformée pour lâoccasion en officine dâétat-major. La pièce sâanimait du cliquetis des armes et du chatoiement bleu royal et écarlate des uniformes. Les officiers échangeaient bruyamment entre eux dans la plus complète cacophonie, puis faisaient subitement silence chaque fois que la voix
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