Frontenac_T1
je les convainque de signer avec nous et nos alliés indiens une paix totale et durable. Quâont dâailleurs donné de si profitable les belles campagnes de mes prédécesseurs? En envahissant massivement quelques territoires iroquois, La Barre et Denonville nâont réussi quâà brûler des villages et des récoltes, sans jamais capturer un seul Iroquois ni réussir à les faire plier. Vos incursions à la baie dâHudson nâont rien arrangé non plus dâune situation déjà tendue, monsieur dâIberville, et ont sans doute contribué au déclenchement de lâactuelle guerre ouverte entre la France et lâAngleterre. Mais puisque nous en subissons les contrecoups, il me semble quâil est dans notre intérêt de concentrer nos énergies à neutraliser plutôt lâAnglais, le péril fondamental, que lâIroquois, qui ne constitue que le danger immédiat et apparent!
Pierre dâIberville tressaillit. Le reproche que lui adressait Frontenac était non seulement immérité mais profondément injuste.
â Permettez-moi de mâinscrire en faux contre vos dernières paroles, monsieur le gouverneur!
Les deux hommes se fusillèrent du regard.
â Si nos victoires à la baie dâHudson ont pu servir de détonateur, cette guerre était de toute façon inévitable. La lutte sans merci entre la France et lâAngleterre pour la suprématie en Europe, sur les mers et dans les colonies, a pesé infiniment plus lourd dans la balance.
Frontenac affichait une moue dubitative tout en lissant sa moustache. Il nâen suivait pas moins les propos de Pierre dâIberville avec beaucoup dâintérêt.
â Et vous ne pouvez pas me reprocher dâavoir chassé les Anglais dâune position leur permettant de contrôler le commerce des plus belles fourrures du pays! Les liens quâils avaient déjà établis avec les Outaouais risquaient dâailleurs de faire basculer ces derniers dans leur camp.
Louis crut prudent de calmer le jeu par des paroles apaisantes.
â Certes, certes, monsieur dâIberville, et je ne vous reproche rien, bien au contraire. Je viens justement de rappeler les détails de vos exploits dans une lettre à Seignelay, en soulignant à quel point nous vous étions redevables. Je lui ai narré par le menu les prises considérables et fort extraordinaires que vous y avez faites, dans des conditions à peine imaginables. Non, croyez-moi, nous sommes fiers de vous et vous êtes, de lâavis de tous, lâun de nos meilleurs éléments.
Sâensuivit un concert dâéloges et de félicitations. Certains officiers se levèrent pour entourer Pierre Le Moyne et lui faire lâaccolade.
Louis profita de lâintermède pour faire un signe de la main à Claude de Villeneuve, ingénieur du roi. Lâhomme déposa sur la table un document que le gouverneur lâaida à étaler sur toute sa longueur. Il sâagissait dâune carte dessinée à lâéchelle et dressant le portrait détaillé de la région allant du sud de Montréal jusquâà la baie de la Nouvelle-York. Villeneuve entreprit ensuite une étude serrée des différents parcours susceptibles de mener les patrouilles droit sur leur cible.
Iberville avait lâintuition que sa trop bonne fortune commençait à irriter le gouverneur. Nâavait-il pas lâappui du ministre Seignelay et ne jouissait-il pas des bonnes grâces du roi, qui lâavait reçu en audience privée et félicité publiquement, lui dont la famille de roturiers venait à peine dâêtre anoblie? Autant de raisons de susciter lâenvie dâun homme en fin de parcours et probablement convaincu que la vie ne lui avait jamais pleinement rendu justice.
«Le vieux bouc se fourvoie pourtant, nâen pensait pas moins le militaire, en serrant lâépée enfoncée dans son fourreau. Les Iroquois sâamusent à le rouler dans la farine avec de fausses négociations et ne feront quâune bouchée de ses propositions de paix. »
Champigny, de son côté, rongeait son frein. Il ne pouvait que constater avec aigreur lâascendant que Frontenac exerçait sur les officiers. Hormis lâopposition vite bâillonnée de Le Moyne, tous semblaient prêts à endosser ses
Weitere Kostenlose Bücher