Frontenac_T1
tonitruante de Frontenac sâélevait, péremptoire.
â Le fléau anglais est en train de sâabattre sur toutes nos frontières, continuait-il, des rivages de lâAcadie et de Terre-Neuve jusquâà la baie dâHudson, des Grands Lacs jusquâaux confins du pays des Iroquois. Il nâest quâà voir ce qui se passe en Acadie, où nos voisins du Sud se comportent déjà en conquérants. Ils envoient leurs pirates bloquer le golfe, cependant que les puritains * du Massachusetts grugent pied à pied le territoire de nos alliés abénaquis * . Quant aux Iroquois, les Anglais de la Nouvelle-York les tiennent désormais pour des sujets britanniques. Ils noyautent leurs conseils de guerre et orientent leur diplomatie en les poussant contre nous. Ils autorisent désormais les marchands dâAlbany à trafiquer dans la région des Grands Lacs comme sâils y étaient chez eux. Ils ont exigé et obtenu la destruction des forts Niagara et Cataracoui, et ils poussent les Iroquois à saper à la base nos alliances avec les nations outaouaises et algonquines!
Le portrait sombre mais percutant que leur brossait le vieux routier, avec un sens de la mise en scène qui lui était particulier, galvanisa les esprits.
â Une seule frontière tient encore, poursuivit-il, et câest celle de la baie dâHudson. Et ce miracle, nous le devons à monsieur Pierre Le Moyne dâIberville, ajouta-t-il en sâinclinant avec reconnaissance devant ce dernier, qui lui rendit sa politesse avec le sourire.
â Par ailleurs, vous devez savoir que nous avons raté de peu une expédition ambitieuse organisée par monsieur de Callières et appuyée par le roi, et qui visait à prendre la Nouvelle-York, Albany et Boston, leur jeta-t-il, sans transition.
Chacun tendit lâoreille, car lâentreprise était restée secrète jusquâà ce jour. Seul Champigny en avait eu vent par lâentremise de Denonville, qui la soutenait de toutes ses forces. Pierre dâIberville écoutait avec grand intérêt. Il avait entendu parler du projet en France où il attendait de nouvelles directives du roi avant de revenir au pays. Le gouverneur esquissa en peu de mots les grandes lignes de lâexpédition, puis exposa les raisons de son échec. Une rumeur de désappointement parcourut la salle. Pierre dâIberville, enflammé à lâidée dâune attaque encore possible, prit la parole avec fougue.
â Mais quâest-ce qui nous empêche de reprendre une partie du projet, monseigneur? On pourrait fort bien monter une expédition au cÅur de janvier, sur les glaces, et aller prendre par surprise la Nouvelle-York ou Albany.
Lâidée sembla susciter lâintérêt. Iberville continua, emporté par lâenthousiasme :
â Albany nâa quâune enceinte de pieux non terrassée et un petit fort à quatre bastions, où il nây a que cent cinquante troupiers et trois cents habitants. La Nouvelle-York contient à peine plus de soldats, répartis en huit compagnies, moitié infanterie moitié cavalerie. La capitale nâest point fermée et son fort ne renferme que quelques canons.
Si Pierre dâIberville croyait lâexpédition faisable, câest quâelle lâétait peut-être. Tout paraissait possible à cet aventurier au destin hors du commun. Il revenait de France auréolé de gloire et nimbé du prestige dâavoir réussi à arracher à nouveau aux Anglais, dans des conditions extrêmes et quasi inhumaines, quelques forts importants de la baie dâHudson. Grâce à cette audacieuse équipée, la Nouvelle-France étendait sa frontière du nord-ouest jusquâà la baie de James et récupérait le fructueux commerce des fourrures du nord. Elle retrouvait aussi la vaste étendue dâeau qui mènerait peut-être un jour au mythique passage de la mer de lâOuest. Réalisation peu banale et que plusieurs commençaient à lui envier, à commencer par Frontenac, qui reprit lâinitiative.
â Lâidée dâentreprendre des expéditions au cÅur de lâhiver va dans le sens de ce que jâai déjà arrêté avec monsieur de Callières. Mais oublions la Nouvelle-York et Albany pour le moment. Nous ne devons pas exposer nos hommes
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