Frontenac_T1
cependant que dâautres couraient en tous sens au son du tambour battant le rassemblement.
La délégation de Nez Coupé venait tout juste de se retirer. Oureouaré seul avait parlementé avec lâémissaire iroquois, Frontenac se gardant bien dâintervenir. Il voulait laisser le Goyogouin mener officiellement les négociations. Si Oureouaré était déçu de lâentêtement des siens à poursuivre la guerre, il conservait malgré tout un optimisme prudent. Il connaissait trop la complexité du processus de négociation des Cinq Nations, de même que ce qui les divisait, pour avoir osé espérer un succès dans lâimmédiat.
Une attitude amplement partagée par Frontenac.
â La paix est remise à plus tard? Quâà cela ne tienne. Je reviendrai à la charge autant de fois quâil le faudra. Quant à la menace dâalliance des Iroquois avec les Outaouais, je doute de sa véracité. De semblables rumeurs ont souvent couru, pour sâavérer fausses neuf fois sur dix. Peut-on dâailleurs prêter foi aux paroles de cet outrecuidant de Nez Coupé? questionna Louis, en se tournant vers le Goyogouin.
Oureouaré éclata de rire. La contraction des muscles de ses joues révéla de splendides dents blanches. Une bande de peinture noire, tracée dâune oreille à lâautre et cerclant les yeux, tel un loup de bal, accentuait le percutant du regard. Un maquillage quâil refaisait méthodiquement chaque matin à lâaide dâun bout de miroir. LâIroquois complétait ensuite sa parure des indispensables colliers, pendants dâoreilles, bracelets et panaches assortis. Une coquetterie masculine ostentatoire plus prononcée que chez les Iroquoises et que Louis avait du mal à sâexpliquer, lui qui arborait pourtant des habits de soie et de velours dégoulinant de dentelles, de rabats à glands et de rubans de toutes les couleurs.
â Nez Coupé est aussi retors et menteur quâun Huron, répondit Oureouaré dans son parler guttural et rocailleux, mais je crois quâil nâa pas trahi la pensée des Iroquois. Ils refusent pour le moment de prêter oreille à tes ouvertures de paix, mon Père, mais ils y viendront. Libère dâautres prisonniers et renvoie-leur de nouveaux émissaires; ils mâenverront bientôt chercher.
Le sachem sâinquiétait pourtant du fait quâaucune délégation nâétait venue lâaccueillir et le réclamer, comme le voulait le protocole iroquois. Cela était mauvais signe et rendait leurs démarches incertaines. Depuis son envoi aux galères, la situation avait tellement évolué chez les Cinq Nations quâil avait lâimpression de mal les saisir.
Sâil décodait moins bien lâattitude de ses frères, il nâavait aucun doute sur la nécessité de les mettre en garde contre leur délire guerrier. Son voyage outre-mer lui avait ouvert les yeux sur lâécrasante puissance militaire de la France, et sur la folie de continuer à la défier. Son expérience des galères lui avait également fait prendre conscience de lâinjustice et de la cruauté de lâunivers du Blanc, en comparaison avec celui de lâIndien, où chacun était maître de lui-même et mangeait à sa faim. Constat qui avait renforcé sa conviction de lâurgence de pactiser avec les Français. Il lui semblait que câétait lâunique façon dâéviter la destruction du pays des « vrais hommes » dont il faisait encore partie. Une prescience singulière et une sagesse politique qui expliquaient largement son allégeance actuelle à Frontenac, quâil croyait seul capable dâamener ses frères à la paix. Un rêve qui occupait désormais toutes ses pensées... Louis était silencieux et réfléchissait. Il penchait pour lâenvoi dâune deuxième députation, sauf que, cette fois, il choisirait mieux le médiateur. La précarité de la situation exigeait cependant la plus grande prudence. Il était dâautant plus à lâaise pour relancer ses offres de paix quâil venait de recevoir la lettre de Callières lui apprenant la victoire de Schenectady, et quâil savait déjà que la seconde incursion punitive commandée par François Hertel et
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