Frontenac_T1
lancée depuis Trois-Rivières était un succès total. Salmon Falls * venait de tomber à son tour. Le prestige des Français sâen trouvant rehaussé, les Cinq Nations allaient y penser à deux fois, croyait-il, avant de sâentêter à refuser à nouveau la paix.
â Je veux que la prochaine ambassade soit composée de Français commandés par Pierre DâO de Jolliet, un officier en qui jâai pleine confiance. Le fils de Bouat, les sieurs de La Beausière et de La Chauvignerie en feront partie. Messire Colin, fit Louis en tournant la tête vers lâinterprète, êtes-vous toujours dâaccord pour les accompagner? Ce dernier acquiesça avec enthousiasme. Sur le bateau ramenant Oureouaré au Canada, Colin avait si bien su gagner lâamitié du rescapé que les deux hommes étaient devenus des frères de sang. Un pacte que seule la mort pourrait désormais dénouer.
â Câest à toi quâil revient de dicter les propositions de paix et dâenvoyer les présents, fit Louis, en sâadressant à nouveau à son protégé.
â Mon message de paix leur liera les mains et les amènera plus sûrement vers toi, répondit Oureouaré. Je ferai comprendre aux miens que câest à ma prière que tu as dépêché ton plus bel officier, pour les exhorter à ne pas écouter les Anglais et à ne point se mêler de leurs affaires. Je rafraîchirai leur mémoire en leur répétant que les Français nâen veulent quâaux Anglais, que les Iroquois sont leurs amis et que moi, je serai jusquâà ma mort celui des Français. Quâils viennent me chercher pour te parler et voir de leurs yeux toutes les bontés que tu as eues pour moi et mes compagnons, et lâamitié que tu as toujours conservée pour ma nation.
â Fort bien envoyé, lui répondit Louis, plutôt satisfait de la tenue dâOureouaré dans cette affaire et se félicitant, une fois de plus, dâavoir gagné sa confiance.
Frontenac croyait aussi pouvoir compter sur des alliés sûrs au sein du grand conseil iroquois. Il avait développé autrefois des relations dâamitié avec Téganissorens et Garakonthié, deux sachems influents qui sâétaient déjà déclarés ouvertement en faveur des Français. Rassuré, il sâen retourna à son cabinet de travail où lâattendait le chevalier dâO, que Monseignat avait convoqué dâurgence.
* * *
Lâhomme était en grande tenue. Il portait un long justaucorps gris galonné dâor, surmontant des hauts-de-chausse bleu royal agrémentés de boucles rouges. Une cravate de soie blanche et un chapeau noir, garni de plumes assorties, complétaient lâuniforme. Le chevalier dâO avait lâallure altière et le front intelligent. Câétait un officier réformé * . Licencié une dizaine dâannées plus tôt avec une poignée dâautres, après lâabolition de sept compagnies, il servait comme surnuméraire. Câétait le fils cadet dâune famille de noblesse dâépée * , amie des Frontenac, et que Louis affectionnait particulièrement. Il remplaçait un peu ce fils quâil avait prématurément perdu.
Après avoir résumé lâaffaire et expliqué de façon succincte les enjeux, Louis le mit au courant de ce quâil attendait de lui. La mission était délicate et nécessitait du doigté. Il aurait préféré y expédier le baron de La Hontan, à cause de sa longue expérience des sauvages, mais ce dernier avait refusé et sâétait dérobé.
â Mâentendez-vous bien, dâO?
â Oui, monseigneur, fit ce dernier en inclinant brièvement la tête.
â Comme jâignore de quelle façon ce factieux de Nez Coupé sâest acquitté de sa mission, je veux que vous tentiez de le savoir. Et que vous mettiez les choses au clair, sâil sâavérait que ce présomptueux ait menti. Tout en demeurant circonspect. Ne vous engagez point trop avant. Mais arrangez-vous pour vous trouver partout où des décisions seront prises. Appuyez les négociations sans y entrer vous-même et soyez témoin de tout, pour mâen faire un fidèle rapport.
â Et si lâon mâinvitait à des conseils plus...
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