Frontenac_T1
mâles étaient disparus jusquâau dernier. Il ne restait personne pour relever le nom, à part Lysandre, un neveu chétif et souffreteux qui nâavait pas lâétoffe dâun soldat et dont on ferait, au mieux, un clerc, au pire, un curé.
«Mon Dieu, quel gâchis! » se répétait-il en vain.
Il avait maintes fois regretté de nâavoir pas été un père plus attentif. Mais Anne avait couvé son fils dâune attention si envahissante et si exclusive quâil nâavait pas su trouver sa place. Ou peut-être ne lâavait-il pas voulu? à vrai dire, il avait été lent à se sentir père et assez soulagé de voir sa femme prendre sur elle toute la responsabilité.
«Mais une fois devenu adulte, nous aurions pu... » et Louis poussa une espèce de long gémissement dâimpuissance chargé de tous ses rêves avortés de paternité contrariée. Puis il murmura :
â Et tous nous mourons et roulons comme les flots qui sâabîment dans ce néant où se confondent et les princes et les rois...
8
Québec, printemps 1690
Il était complètement abasourdi par la nouvelle, effondré.
â Il ne manquait plus que cela, murmura-t-il entre ses dents.
Les rumeurs de défection des Indiens alliés nâétaient pas nouvelles et même si les déclarations de Nez Coupé les confirmaient, Louis avait toujours refusé dây croire. Jusquâà preuve du contraire. Et voilà que cette preuve reposait entre ses mains et tenait en deux pages chiffonnées, noircies dâune écriture serrée et austère.
â Mais nous nâen sortirons jamais!
Il repoussa les quelques feuilles éparses sur la table et se leva lentement pour sâapprocher de la fenêtre dâoù il vit patrouiller une poignée de soldats, le fusil sur lâépaule et lâépée en bandoulière. Un battant qui ne fermait plus à cause du bois gonflé et déformé par le froid laissait percer la voix cassante dâun capitaine hurlant des ordres, aussitôt recouverte par le son du fifre et les perpétuels roulements de tambour.
â Eux, ils nâont quâà obéir... pendant que je me démène comme un damné pour nous extraire de ce bourbier maudit.
Il soupira. Il était fatigué et il lui semblait que depuis quelques jours tout lui échappait, lui glissait des mains et sâen allait à vau-lâeau. Lâhiver avait été long et éprouvant, cette année-là , et le manque de lumière lui avait beaucoup pesé. Lâingrate responsabilité de gérer cette malheureuse colonie lui avait apporté un lot de tracas qui ne semblait malheureusement pas sur le point de se résorber. La chaleur printanière des derniers jours lui redonna tout de même quelque espoir.
Il se rassit pour se saisir à nouveau de la lettre en provenance de Michillimakinac. Elle était de la main du père Carheil, le jésuite desservant ce fort stratégique situé à la tête du lac Michigan. Deux hommes sûrs avaient traversé la moitié du pays et voyagé dans des conditions extrêmes pour informer le gouverneur de ce qui se tramait à son insu : les tribus de lâOutaouais sâapprêtaient à signer une paix séparée avec les Iroquois.
Il relut, encore incrédule :
Les sauvages dâici parlent ouvertement de se jeter dans les bras des Iroquois et des Anglais, et déclarent que la protection dâOnontio nâest quâune illusion et un leurre! Ils disent aussi quâils croyaient les Français de bons guerriers, mais quâils ne sont pas de taille contre les Iroquois par qui ils se laissent lâchement massacrer chaque jour, sans même lever le petit doigt pour se défendre; que lors de lâinvasion du pays tsonontouan par le gouverneur Denonville, il y a de cela deux années, les Français ont été surpris de la résistance ennemie et se sont bornés à faire la guerre aux blés et aux écorces.
Depuis ce temps, croient-ils, nous nâaurions rien fait dâautre que de mendier la paix et nous opiniâtrer à espérer un accommodement pour nous-mêmes, en abandonnant nos alliés à leur sort et en les laissant porter seuls le poids de la guerre. Ils avancent même que leur alliance avec nous ne leur a pas fait
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