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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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disons... privés, que dois-je faire, Votre Seigneurie?
    â€” N’attendez pas qu’on vous y invite, immiscez-vous, repérez les chefs, même si ce n’est pas évident à première vue, car leurs capitaines ne sont pas toujours les plus flamboyants, un effet de leur égalitarisme qui m’a toujours laissé pantois... mais enfin. Fiez-vous à Colin, qui a vécu parmi eux et connaît bien leurs mœurs. Rappelez-leur qu’ils ont intérêt à rester neutres dans ce conflit qui nous oppose aux colonies du Sud, qu’il y va de leur liberté et de leur indépendance, de leur intérêt commercial aussi. Je peux les fournir en marchandises et répondre à leurs besoins. Rassurez-les sur ce point. Dites-leur aussi que jamais je ne les trahirai, comme l’a fait si perfidement Denonville; que ce n’est point à eux qu’on en veut, malgré ce qu’ils nous ont fait, parce qu’on les regarde comme des enfants à qui l’on a retourné l’esprit, mais aux Anglais, sacredieu! Insistez adroitement sur la puissance de la France, sur nos récentes victoires à Schenectady et à Salmon Falls, sur les ravages de nos alliés abénaquis contre les villages près de Boston. Rappelez-leur également que nous n’avons pas touché à un seul cheveu de la tête des Agniers présents à Schenectady. Ils ont été remis en liberté jusqu’au dernier. Et puis, mon Dieu, s’ils semblent trop butés, durcissez le ton, faites-vous menaçant, dites-leur que je sévirai, à contrecœur mais d’une main ferme et impitoyable. Que la chance vous accompagne!
    Après que l’officier eut quitté la pièce d’un pas décidé, Louis se sentit las, tout à coup. Il se laissa choir sur un fauteuil. Son cœur se serrait, comme à l’appréhension d’une catastrophe.
    Â«Et si jamais... »
    Il faillit rappeler d’O et lui dire de laisser tomber. Il avait si peu d’expérience auprès des Indiens...
    Mais il se ressaisit. Cédait-il à des pressentiments de bonne femme, à présent? Un gouverneur général devait faire preuve de plus de sang-froid, foutre de dieu! Cette ressemblance physique avec François-Louis, son fils disparu, expliquait peut-être son trouble?
    Une colère froide l’envahit à l’évocation de cet enfant qui aurait aujourd’hui à peu près le même âge que le beau chevalier, un sentiment extrême fait de la même rage impuissante que lorsqu’il avait appris sa mort, vingt ans plus tôt. Comme si le temps n’avait pas coulé sur son chagrin, ne l’avait ni érodé ni policé.
    Â«Un être beau, doué pour la vie et si prometteur... Mon unique progéniture. Le seul, après moi, qui eût pu porter le beau nom des Frontenac. »
    L’imbécile était allé se faire glorieusement tuer à la bataille de l’Estrunvic, en Allemagne, à la tête de son régiment. Il se battait sous les couleurs de l’évêque de Munster, allié de la France. C’était pendant la longue, l’interminable guerre de Hollande * . Une guerre terrible pour la France et dans laquelle Louis XIV s’était fourvoyé et rapidement enlisé.
    Il avait été touché à bout portant. À vingt et un ans et à peine sorti de l’école militaire.
    L’innocent avait joué les héros et était monté à la charge en poussant ses hommes et en les haranguant comme un condottiere * , s’avançant si près des lignes ennemies qu’il s’était retrouvé seul devant le feu. Le colonel avait eu deux chevaux tués sous lui avant de piquer du nez dans la boue, une balle en plein cœur. Jeune officier, Louis en avait fait autant, sauf qu’il avait eu plus de chance que son malheureux fils... Était-il mort pour avoir voulu lui faire honneur, à lui, ce père si peu présent mais aimé sans mesure? Sa dernière lettre ne trahissait-elle pas à chaque ligne toute l’admiration qu’il avait pour lui?
    Louis écrasa une larme importune. Ce brassage de souvenirs le touchait au cœur et une tristesse poisseuse le submergea peu à peu. La cruauté de la vie et l’injustice du mauvais sort infligé aux seigneurs de Frontenac le frappaient à nouveau. Tous les descendants

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