Frontenac_T1
produits quâelle lui fournissait, le prix des marchandises sâen trouvait majoré dâautant.
Après avoir résumé succinctement le sérieux de la situation, Frontenac se tourna vers un jeune officier.
â Monsieur de Louvigny, dès que les rivières seront navigables, vous irez relever monsieur de La Durantaye à Fort Michillimakinac et vous conduirez jusquâà ce poste un détachement de cent quarante-cinq Canadiens et dix sauvages, car je ne pense pas que la route de lâOutaouais soit paisible et fréquentable par les temps qui courent.
Surpris, Champigny sâinterposa.
â Je mâétonne que vous veuilliez remplacer le sieur de La Durantaye. Non pas que je doute de la compétence de monsieur de Louvigny, mais lâactuel commandant nâa-t-il pas conservé au roi, dans des temps difficiles et avec le plus parfait désintéressement, tous les postes avancés de lâOuest?
Lâintrusion trop partisane de lâintendant agaça le gouverneur, qui lui rétorqua sèchement :
â Il sâagit dâun décret qui relève de mon bon vouloir. Sachez, pour votre gouverne, quâil est bon dâintroduire de temps à autre du sang neuf, surtout dans une époque aussi troublée. Monsieur de Louvigny nous fera un excellent commandant de poste, nâest-ce pas? fit-il, en consultant ses pairs à la ronde.
Champigny fulminait. Il nâavait pas besoin quâon lui mette les points sur les « i » pour comprendre que Frontenac se débarrassait sans autre forme de procès de La Durantaye, qui avait été choisi par Denonville justement pour son honnêteté sans faille. Il sâétait toujours refusé à pactiser avec les marchands de fourrures et à entrer dans quelque réseau de traite que ce soit, ce qui pouvait entraver les intérêts et les initiatives commerciales du gouverneur général. Ce dernier avait besoin à Michillimakinac dâun commandant de poste docile et coopératif, afin de sâassurer de profits substantiels. Lâintendant se tut néanmoins, pour ne pas envenimer davantage des relations déjà tendues.
Quand Frontenac eut distribué les tâches à ses officiers, il sâadressa enfin à son vis-à -vis :
â Messire Perrot, nous comptons sur vous pour ramener nos alliés à de meilleures dispositions. Je suis à préparer un message vigoureux et bien senti que vous voudrez bien leur transmettre de ma part, ainsi que de nombreux présents dont vous aurez la garde et que vous leur distribuerez selon votre bon jugement. Mes officiers et mes hommes seront sous votre commandement général jusquâà Michillimakinac. Vous avez toute ma confiance par la longue pratique et la connaissance que vous avez de lâhumeur, des manières, de la langue de toutes ces nations dâen haut, et par lâimmense crédit que vous vous êtes acquis auprès dâelles.
â Je ferai lâimpossible, monseigneur, pour mériter la confiance que vous me portez, répondit le diplomate.
â Et nous ferons dâune pierre deux coups, puisque votre convoi servira au retour à ramener les milliers de livres de fourrures accumulées depuis des mois à la baie Verte et à Michillimakinac. Les sieurs dâHosta et de la Gemmerais auront ordre de vous accompagner avec une cinquantaine dâhommes jusquâaux Calumets, sur lâOutaouais, pour vous protéger dâune possible attaque iroquoise. Quant à vous, je vous laisse juge de décider dâaller éteindre des feux du côté des tribus des Grands Lacs, sâil sâavérait quâelles aient besoin dâun vigoureux rappel à lâordre.
Comme le reste des décisions portait sur les détails pratiques de lâexpédition, toutes choses relevant des compétences de lâintendant, Frontenac mit fin à la rencontre et renvoya ses gens à leurs affaires en leur recommandant dâêtre sur le qui-vive et prêts à partir dès que la température serait propice.
* * *
Le capitaine Sylvanus Davis avait été introduit dans une pièce petite mais éclairée par une large fenêtre dispensant une pâlotte lumière de midi, mouillée et cotonneuse. Au loin, masqué par une nuée brumeuse, le grand fleuve roulait des eaux sombres et agitées.
Davis
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