Frontenac_T1
demeurés en paix si vous nâaviez pas poussé les Indiens à sâattaquer à de paisibles fermiers.
â Le Massachusetts et la Nouvelle-York sont peut-être deux Ãtats distincts, mais pour nous, il sâagit du même peuple avec lequel nous sommes en guerre, monsieur. Nous subissons depuis le massacre de Lachine des attaques sanglantes dont sont responsables les vôtres. Câest sous lâinstigation de vos colonies que les Iroquois ont été poussés contre nous. Et votre Massachusetts nâest-il pas en conflit perpétuel avec nos alliés abénaquis, dont il gruge pied à pied le territoire?
Le puritain ne répliqua pas. Frontenac avait raison.
Davis pensa aux alliances qui se développaient depuis quelque temps entre les colonies anglaises, sous lâinstigation de la Nouvelle-York. Le Connecticut et le Massachusetts massaient déjà des troupes aux frontières canadiennes en vue dâune attaque, dès que possible. Et il avait pu récemment jeter les yeux sur une lettre envoyée par le gouverneur révolutionnaire de la Nouvelle-York incitant les gens de Boston à entrer dans lâentreprise en équipant des navires pour prendre Québec.
«Plaise à Dieu que le comte de Frontenac continue à ignorer encore longtemps lâétat de guerre civile dans lequel nos douze colonies sont plongées depuis lâaccession au trône de Guillaume dâOrange », implora ardemment le puritain.
Louis finit par avoir pitié du vieil homme. Il lui baragouina encore quelques mots dâanglais, en mettant juste assez de chaleur dans sa voix pour se faire rassurant.
â Beut take courâge... and thiou vill be... vell triited .
Ce à quoi le prisonnier répondit :
â Monsieur le gouverneur, il ne sâagit pas de ma misérable personne, mais des prisonniers, surtout des femmes et des enfants, qui sont actuellement aux mains des barbares!
Louis savait que quelques femmes étaient détenues par les Abénaquis. Les deux filles de son second avaient été épargnées et se trouvaient également captives.
â Nous les sortirons de là , je vous donne ma parole de soldat, sâempressa-t-il de répondre. Je les ferai racheter et confier à des familles ou à des communautés religieuses.
Le ton de voix du gouverneur impressionna favorablement lâAnglais. Il était en présence dâun homme dâhonneur et cela sembla le rassurer.
Davis salua bien bas tout en remerciant chaudement le comte de Frontenac, qui ordonna à un officier dâinstaller le prisonnier dans une des chambres les moins délabrées du château. Avant de se retirer, il lâinvita fort gracieusement à dîner à sa table, le soir même.
* * *
â Vous avez manqué à lâhonneur! Sachez que lorsquâun commandant donne sa parole, il doit la respecter, dût-il en périr. Câest ce que nous avons de plus sacré. Vous avez déshonoré lâhabit que vous portez et je ne sais ce qui me retient de vous mettre aux arrêts, le temps de réfléchir et de vous amender!
Louis avait crispé les traits et froncé les sourcils, et son regard furibond allait de Portneuf à Courtemanche en sâattardant longuement et sans chaleur sur chacun dâeux. Déçus et blessés alors quâils sâétaient plutôt attendus à des louanges, les deux officiers baissaient les yeux comme des enfants pris en faute. Ils auraient pourtant dû savoir que le gouverneur ne plaisantait pas avec les questions dâhonneur. Toute sa génération vivait encore sur la parole donnée : un prisonnier de guerre libéré ne revenait-il pas se livrer à ses geôliers lorsquâil nâavait pu réunir le montant de sa rançon?
Portneuf avait tenté dâexpliquer à Frontenac que bien quâil eût promis sa protection à Davis et aux autres, il nâavait pu empêcher les Abénaquis de se ruer sur eux dès quâils avaient été en leur pouvoir. La parole de Portneuf nâengageant que lui, ses alliés avaient agi librement de leur côté, avec pour résultat que bien des têtes avaient été inutilement cassées. Cela témoignait des coutumes des sauvages. Ils avaient leur façon de faire la guerre et il était difficile de leur en imposer une autre. Une fois leur rage
Weitere Kostenlose Bücher