Frontenac_T1
était assis sur le bout dâune chaise et suait à grosses gouttes en sâépongeant le front du revers de sa veste, en dépit de la fraîcheur du lieu. Il portait une barbe de plusieurs jours, des vêtements déchirés et crottés, et paraissait complètement abattu par ses récents malheurs. Lâépuisement et lâinquiétude avaient marqué chaque trait de son visage.
â Velcôme capittèn Dâvis , fit Louis à lâintention du prisonnier quâil trouva plus âgé quâil ne lâavait imaginé.
Frontenac se risquait parfois à prononcer quelques mots dans la langue de Shakespeare, par simple courtoisie à lâégard de son hôte. Un soldat était présent et lui servirait dâinterprète.
Le puritain se leva et le salua dâun révérencieux « Mister the Earl of Frontenac  ». Il resta debout jusquâà ce quâon lui ordonne de se rasseoir. Le prisonnier avait demandé cette entrevue pour faire part de ses doléances après la récente prise de Fort Loyal, à Casco Bay, dans lâÃtat du Massachusetts.
Cette troisième expédition sâétait soldée, elle aussi, par un glorieux fait dâarmes. Lâofficier Portneuf, qui la commandait, sâétait attaqué à forte partie. Fort Loyal était une solide forteresse palissadée, protégée par huit canons et occupée par une centaine dâhommes. Le bouillant capitaine avait dû entreprendre un siège en règle et faire creuser des tranchées jusque sous les remparts, où il avait fait placer des explosifs. Après six longs jours de blocus, désespérés et à bout de ressources, les assiégés avaient fini par se rendre.
Le capitaine Davis assura à Louis quâil avait été bien traité pendant le voyage de retour vers Québec, mais quâil avait à se plaindre de la conduite du commandant « Purniffe » et de son lieutenant, « Corte de March ». Frontenac sourcilla. Décidément, Davis ne maîtrisait pas mieux le français que lui lâanglais.
â Le commandant Portneuf et son second, Courtemanche, traduisit lâinterprète à lâintention de Frontenac, ont manqué à leur parole de soldat en ne respectant pas les clauses de la reddition, quâils avaient pourtant juré dâhonorer.
Lâhomme soufflait péniblement entre chaque mot, comme si lâair entrait difficilement dans ses poumons, et lâindignation lui faisait monter le sang au visage. Louis écoutait avec attention, curieux de voir de quelle étoffe était tissé le bonhomme.
â Nous avons demandé quartier pour nos hommes, nos femmes et nos enfants, dont plusieurs étaient grièvement blessés, et aussi la liberté de nous rendre en sûreté jusquâau prochain village anglais. Ce que vos hommes ont accepté en jurant, la main levée, devant le Dieu éternel! Alors nous avons marché vers la sortie et laissé tomber nos armes...
Davis fit une pause pour reprendre son souffle et sâéponger le front, puis continua, la voix éraillée :
â Mais nous avions à peine franchi la barrière que les Indiens se sont rués sur nous en hurlant, la hache à la main. Jâai protesté vivement contre cette violation de la parole donnée, mais on mâa répondu que nous nâétions que des rebelles à notre roi légitime, Jacques II, détrôné en Angle terre par Guillaume III dâOrange, et que nous méritions la mort. Les quelques malheureux qui ont survécu au carnage sont maintenant captifs des sauvages et promis à un sort misérable, indigne de chrétiens.
Louis secoua la tête en réprimant sa colère à lâégard de Portneuf et de Courtemanche, quâil se promit de réprimander vertement. Il nâen répondit pas moins :
â Vous devez vous en prendre au gouverneur et aux peuples de la Nouvelle-York et dâAlbany, qui sont la cause de la guerre actuelle, puisquâils ont armé les Iroquois, les ont conseillés et incités à attaquer le Canada!
â Mais monsieur le comte de Frontenac, la NouvelleYork et le Massachusetts sont deux gouvernements distincts, qui doivent répondre séparément de leurs actes. Nous nâavons jamais été en guerre avec le Canada et nous serions
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