Frontenac_T1

bâtiments étaient détruits. Nous les ferons reconstruire en temps propice et nous reprendrons notre commerce là où nous l’avions laissé, du moins dès que j’aurai réussi à calmer les Iroquois.
    Les marcheurs avaient atteint un tertre au-delà duquel se devinait, à travers les arbres, une immense percée lumineuse. Louis y conduisit son invité et s’immobilisa, ébahi, comme toujours, par la magnificence du panorama qui s’offrait au regard.
    â€” Un des plus impressionnants sites défensifs que j’aie vus de ma vie. Champlain ne pouvait dénicher meilleur site pour y ériger une habitation. Rien ne m’est jamais apparu si beau que la situation de Québec, qui ne pouvait être mieux postée si elle devenait un jour la porte d’entrée d’un grand empire.
    La basse-ville s’étalait à leurs pieds sous un soleil éclatant qui faisait miroiter les petits toits de fer blanc et couvrait les eaux du Saint-Laurent d’une longue traînée d’or mouvant. Elle avait été reconstruite à neuf depuis le dernier incendie et les nouvelles habitations, plus élevées et désormais en pierre ou à colombages, alignaient joliment leur façade et leurs aménagements.
    â€” Regardez ces toits munis de parapets coupe-feu et d’échelles, fit remarquer Louis en pointant les maisons tassées les unes contre les autres. J’ai fait moi-même adopter cette réglementation lors de ma première administration.
    Frontenac était visiblement fier de Québec.
    â€” Et lorsqu’un particulier se fait bâtir, il doit le faire de manière à augmenter la décoration et l’ornement de la ville.
    Mais il reprit bientôt un visage préoccupé pour continuer, un ton plus bas :
    â€” Il faudra se méfier de Champigny, qui est fortement opposé à la reconstruction du fort Cataracoui et qui alerte le roi dans ce sens. Cet homme est une vraie plaie. Il accentue d’ailleurs ses manœuvres, ces temps-ci, pour que je lui fasse contresigner les congés * que j’accorde. Il voudrait me forcer à les offrir à des familles pauvres, et il n’attend qu’une occasion pour m’accuser de malversation et courir tout rapporter au ministre. Les poules auront des dents quand j’accepterai d’être contrôlé par cet intrigant, jaloux comme un cocu, et qui ne souhaite de me mettre des bâtons dans les roues pour mieux se faire valoir auprès du roi!
    â€” Il a justement posté ses hommes à Lachine. Ils ont prétendu vouloir inspecter le chargement que je ramenais des Illinois, mais je leur ai montré le permis, signé de votre main, et j’ai refusé d’obtempérer, surenchérit Tonty.
    â€” Mais dites-moi, comment se présente la situation dans les Illinois?
    L’allégeance des peuplades vivant à l’ouest des Grands Lacs commençait à l’inquiéter sérieusement. Il avait posé la question le regard perdu en direction de l’île d’Orléans. Les mains dans le dos, il se balançait légèrement d’avant en arrière. Par une sorte de mimétisme, son compagnon adopta une posture semblable.
    â€” Plutôt délicate. C’est un baril de poudre. Toutes ces nations sont sans cesse en effervescence et en guerre les unes contre les autres. Les tenir en laisse n’est pas une sinécure. Nous les maintenons dans de bonnes dispositions à l’égard de la Nouvelle-France à grand renfort de flatteries, de menaces, de chantage, de présents et de fournitures d’armes. Leur fidélité est hautement conditionnelle et vacille au gré des événements. Et il faut maintenant défaire le travail de sape des émissaires outaouais venus inviter Mascoutins, Outagamis, Illinois, Miamis, Potéouatamis, Puants et Sakis à se rebeller contre nous. Nous multiplions les démarches pour les engager à tourner à nouveau leur casse-tête contre l’Iroquois, qui sera toujours un ennemi commun.
    â€” Toujours, certainement pas... fit Frontenac, sur un ton prophétique. Un jour, toutes ces tribus seront en paix entre elles et avec nous. Les Iroquois aussi, bien sûr. Est-ce si irréaliste, dites-moi?
    Tonty ne répondit pas tout de suite. Il avait de la difficulté à imaginer une pareille alliance. Peut-être